Après Montaigne, Antoine Compagnon nous invite à passer un été avec Pascal. Un siècle de différence entre les deux hommes qui sont tous les deux fondateurs de notre modernité, c'est-à-dire de la liberté d'esprit. Pascal (XVIIe siècle) comme Montaigne (XVIe siècle) traite de l'homme, de la société, de l'univers, du pouvoir, de la foi, de l'angoisse, de la mort, du jeu : le tout et le rien. Nous connaissons tous les sentences célèbres de Pascal : « Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie. », « Qui veut faire l'ange fait la bête », « Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît point. ».
Antoine Compagnon évoque à la fois la vie du génie Pascal (auteur du traité des Coniques), tout en allant chercher la signification de ses pensées elliptiques. Avec cette tournure d'esprit combinatoire, Pascal explore tous les possibles de la réflexion. En quarante et un chapitres (dont six inédits) il s'intéresse aussi bien à la question de la violence et de la vérité, de la tyrannie, à l'esprit de finesse, au divertissement et au juste milieu. Antoine Compagnon nous fait découvrir l'écrivain du miracle et de la grâce dont la pensée permet de mieux nous connaitre.
Qui sont les antimodernes ? Non pas les conservateurs, les académiques, les frileux, les pompiers, les réactionnaires, mais les modernes à contre-cur, malgré eux, à leur corps défendant, ceux qui avancent en regardant dans le rétroviseur, comme Sartre disait de Baudelaire. Ce livre poursuit le filon de la résistance à la modernité qui traverse toute la modernité et qui en quelque manière la définit, en la distinguant d'un modernisme naïf, zélateur du progrès.
Une première partie explore quelques grands thèmes caractéristiques du courant antimoderne aux XIXe et XXe siècles. Ces idées fixes sont au nombre de six : historique, la contre-révolution ; philosophique, les anti-Lumières ; morale, le pessimisme ; religieuse, le péché originel ; esthétique, le sublime ; et stylistique, la vitupération. Joseph de Maistre, Chateaubriand, Baudelaire, Flaubert d'un côté, de l'autre Proust, Caillois ou Cioran servent à dégager ces traits idéaux.
Une seconde partie examine quelques grandes figures antimodernes aux XIXe et XXe siècles ou, plutôt, quelques configurations antimodernes majeures : Lacordaire, Léon Bloy, Péguy, Albert Thibaudet et Julien Benda, Julien Gracq et, enfin, Roland Barthes, "à l'arrière-garde de l'avant-garde", comme il aimait se situer.
Entre les thèmes et les figures, des variations apparaissent, mais les antimodernes ont été le sel de la modernité, son revers ou son repli, sa réserve et sa ressource. Sans l'antimoderne, le moderne courait à sa perte, car les antimodernes ont donné la liberté aux modernes, ils ont été les modernes plus la liberté.
Prix de la Critique de l'Académie française 2006
"Nous ne faisons que nous entregloser." Sans doute Montaigne le déplorait-il mais d'abord il en prenait acte, ainsi que les Essais en témoignent : toute parole rapporte, l'écriture est glose et entreglose. Tout est dit : telle est la loi du langage, la condition du discours. Mais il est diverses modalités de la répétition du déjà dit. L'une d'entre elles, la plus flagrante, donne à ce livre son départ et son horizon : la citation, non pas la citation en soi mais le travail de la citation, la reprise ou la seconde main, et les suivantes.
Solidarité d'un fait de langage et d'une pratique instituée, la citation est un acte, une forme et une fonction. L'acte commande une phénoménologie qui le situe dans la lecture et dans l'écriture ; la forme, une sémiologie qui apprécie son mode de faire sens dans le texte ; la fonction, une généalogie qui recense quelques-unes de ses valeurs historiques bien détachées.
Telles sont les grandes options d'un travail de la citation plutôt que sur la citation : c'est elle qui discourt et vadrouille car elle n'est pas un objet mais une idée fixe que ces pages, toute écriture, rêvent de défaire.
Dès le début du XIXe siècle Hegel jugeait que la gloire de l'art était derrière lui, dans le passé, et il annonçait rien de moinsque la fin de l'art. Est-ce à cette fin, toujours différée depuis près de deux cents ans, que nous assistons aujourd'hui ? Ne serait-ce pas plutôt à la faillite des doctrines qui voulaient "expliquer" l'art donc lui assigner un "but" et penser son histoire en termes de "progrès" ? Telles sont les questions qui sont au coeur des Cinq paradoxes de la modernité. Et s'il y en a précisément cinq, c'est que, depuis Baudelaire, l'histoire de l'art a connu cinq crises majeures correspondant à autant de contradictions non résolues.
Les lecteurs qui ignorent les rudiments de l'histoire récente des beaux-arts trouveront là un guide sûr. les autres y trouveront une perspective originale (baudelairienne) propre à éclairer les soubresauts actuels de la "postmodernité".
Il n'y a pas trente-six façons de parler littérature, mais deux : l'une historique, l'autre formelle. Du moins voilà près de deux siècles que nous balançons entre elles. Or, les formalismes au pouvoir depuis vingt ans donnent des signes de fatigue. Comment s'en sortir sans retourner bêtement en arrière, à l'histoire littéraire de nos aïeux, ces barbichets qui furent les docteurs de l'Etat, les pères de la République ?
En demandant comment nous en sommes venus là ; que fut cette discipline contre laquelle les années 60 s'insurgèrent et par quels compromis elle s'institua ; comment elle fut à la fois politiquement progressiste et intellectuellement réactionnaire ; pourquoi, enfin, l'"agitation moderniste" d'avant 14 se sclérosa à toute vitesse.
Voici donc la petite histoire d'une crise : 1870-1914, les affaires entre deux guerres, la fondation de l'Université radicale, et le passage de la "vieille vieille critique" (Sainte-Beuve, Taine, Brunetière) à l'histoire littéraire (Lanson et sa clique).
Plus une pensée pour les revers de la Troisième des Lettres : Proust et Flaubert, en manière de semonce à une histoire littéraire qui est toujours restée devant la littérature comme une poule qui a trouvé un couteau.
Antoine Compagnon
De l'Antiquité au monde contemporain, dans toutes les cultures, l'autorité, c'est-à-dire la souveraineté, le sacré, le livre, le dogme, a fondé l'ordre social. Elle est donc partout et nulle part. Le droit, la philosophie, la religion, la science politique, l'économie, la sociologie, sans omettre les sciences exactes : tous nos savoirs sont ici interrogés par les meilleurs spécialistes. Sont ainsi traitées des questions aussi diverses que l'autorité de la Constitution, ce qu'est une « haute autorité indépendante », ce qu'était l'autorité du roi en Mésopotamie, le rôle de la tradition et l'origine du canon biblique, le statut de l'autorité dans les sciences, en médecine ou dans le domaine des climats par exemple, mais aussi la notion d'autorité morale, le « poids de l'autorité » dans la croyance, etc. Historien de la littérature, héritier et critique du structuralisme, Antoine Compagnon est professeur au Collège de France. Il a notamment publié La Seconde Main, Nous, Michel de Montaigne, La Troisième République des lettres, Le Démon de la théorie, Les Antimodernes. Contributions de C. Audard, J. Bouveresse, É. Brezin, J. Bricmont, G. Canivet, J.-M. Durand, R. Guesnerie, D. Jérôme, H. Laurens, X. Le Pichon, P. Mazeaud, J. Ménard, T. Rmer, L. Schweitzer, B. Saint-Sernin, C. Severi, M. Zink.
Bernard Faÿ n'est plus guère connu aujourd'hui que pour son rôle dans la répression de la franc-maçonnerie sous le régime de Vichy. Son action à la tête de la Bibliothèque nationale de 1940 à 1944 lui valut les travaux forcés à la Libération.
Intrigué par le destin de cet intellectuel passé de Proust à Pétain et de l'avant-garde à la collaboration, Antoine Compagnon, dont Bernard Faÿ fut un lointain prédécesseur à l'université Columbia de New York, puis à Paris, au Collège de France, renouvelle en profondeur une enquête entamée par les historiens. Car l'homme demeurait très mystérieux.
Quels démons ont pu pousser cet américaniste éclairé, ouvert au monde moderne, familier de Gide, Cocteau, Crevel et Picasso, intime de Gertrude Stein, aux engagements les plus funestes auprès des autorités d'occupation et de leurs complices français, aux compromissions les plus basses avec la police et la SS? Comment cet homme de haute culture, infirme et esthète, inverti et religieux, a-t-il pu consentir à l'ignominie de la délation? Et pourquoi ne s'est-il jamais repenti?
Tragique époque, ténébreux caractère, troublant portrait.
Le directeur de la Revue des deux Mondes fut un personnage peu aimable. Autoritaire, conservateur, de plus en plus clérical, il fit de mauvais choix entre l'affaire Dreyfus et la séparation de l'Église et de l'État. Une étude sur cet académicien autodidacte et ses amis politiques a le mérite de préciser à quoi tenaient les engagements dans l'Affaire.
Brunetière était de son propre aveu un libéral ; il avait dénoncé La France juive de Drumont en 1886, s'était enthousiasmé pour la démocratie américaine en 1897. Pourtant il frôla l'antisémitisme et l'antirépublicanisme à la ligue de la patrie française en 1899 ; mais apparemment sans y tomber. Son cas permet de mieux distinguer catholicisme, antidreyfusisme et antisémitisme autour 1900.
Cette enquête porte aussi sur une vieille amie de Brunetière qui n'a pas cessé de le remettre à sa place durant ces années-là. Flore Singer était née dans une grande famille juive d'Alsace en partie convertie au catholicisme. Ses oncles avaient fondé la congrégation prosélyte Notre-Dame de Sion. Grande dame de l'Empire libéral et de la République athénienne, son histoire est celle des juifs de France entre l'émancipation et la montée de l'antisémitisme.
Flore Singer et Brunetière nous importent comme figures exemplaires : elle, des juifs de France et de l'histoire de l'assimilation au XIXe siècle ; lui, des libéraux ou démocrates et de leurs rapports compliqués au catholicisme, au judaïsme et à l'État. S'intéresser à eux, c'est donner quelques coups de sonde dans cette décennie fatale au tournant du XIXe et du XXe siècle, à laquelle il reste indispensable de retourner, à l'orée du XXIe siècle, pour comprendre les origines de la France contemporaine.
En 1914, Albert Einstein avait été invité à donner les conférences Michonis au Collège de France, organisées à partir de 1905 grâce au mécène Georges Michonis, pour y accueillir des savants étrangers. L'entrée en guerre l'empêcha de venir à Paris. Sous l'impulsion de Paul Langevin, professeur de Physique générale et expérimentale (1909-1946), l'invitation fut renouvelée en février 1922, peu après les tests de la théorie de la relativité générale effectués par l'astronome Sir Arthur Eddington en 1919, qui contribuèrent à la renommée mondiale d'Einstein. Le Collège se singularisera encore par la suite dans la réception des idées d'Einstein, en créant, en 1933, une chaire pour le physicien, qui avait fui l'Allemagne. Ayant déjà accepté un poste à l'Institut des études avancées de Princeton nouvellement créé (1930), Einstein n'occupera jamais cette chaire. Avec pour fil conducteur la visite d'Einstein au Collège, ce 3e volume de la collection s'intéresse à l'impact des idées d'Einstein sur la physique française et, plus largement, dans la formation des savoirs et des arts (des années 1910 jusqu'à la Seconde Guerre mondiale) en France et au-delà. Contrairement à Freud et à Darwin, dont l'accueil au Collège a été difficile, accueil qui a fait l'objet de deux volumes précédents de la collection, la théorie de la relativité d'Einstein y a très tôt été présentée par Langevin, qui en a fait le sujet de ses cours dès 1910-1911. D'autres professeurs du Collège s'y sont intéressés (Léon Brillouin [Physique théorique, 1932-1949], Frédéric Joliot [Chimie nucléaire, 1937-1958] et André Lichnérowicz [Physique mathématique, 1952-1986], de même que des professeurs de philosophie, de poétique et d'histoire (Henri Bergson, Paul Valéry [Poétique, 1937-1945]), Lucien Febvre [Histoire de la civilisation moderne, 1933-1949], ou Maurice Merleau-Ponty [Philosophie, 1952-1961]) pour nous limiter à ces quelques noms. Ce volume découle d'un colloque organisé par Antoine Compagnon (Littérature française moderne et contemporaine), Jean Dalibard (Atomes et rayonnement) et Jean-François Joanny (Matière molle et biophysique) les 11 et 12 juin 2018, dans le cadre du projet « Passage des disciplines : histoire globale du Collège de France, xixe-xxe siècle », qui porte sur l'évolution des matières enseignées aussi bien que celles qui n'y ont pas été admises et qui forment un « Collège virtuel », depuis la fin du xviiie siècle jusqu'aux années 1960. Il est dirigé par Antoine Compagnon, avec la collaboration de Céline Surprenant et reçoit le soutien financier de PSL (2016-2019), et de la Fondation Hugot.
La théorie de Darwin aussi bien que sa réception scientifique, littéraire et politique en France continuent d'être matière à débat. Les controverses qu'elle a suscitées à partir de la première traduction française de L'Origine des espèces en 1862 n'ont pas été le seul fait des naturalistes, des géologues ou des paléontologues. De nombreux autres savants se sont préoccupés de l'impact du darwinisme sur leur discipline, notamment en philologie, dans les mathématiques, la linguistique, la psychologie comparée, l'histoire ou la philosophie. Les auteurs des textes réunis dans Darwin au Collège de France montrent que le Collège de France constitue un point de référence idéal pour étudier les idées de Darwin et leur réception ainsi que la manière dont elles ont pu jouer sur la formation des disciplines du milieu du xixe siècle jusqu'à aujourd'hui. Parmi les défenseurs ou les adversaires français du darwinisme, on compte en effet plusieurs de ses professeurs, à commencer par Pierre Flourens, dont l'Examen du livre de M. Darwin (1864) a été l'un des premiers comptes rendus hostiles de L'Origine des espèces. D'autres figurent encore dans la liste : Ernest Renan, Edgar Quinet, Théodule Ribot, Jean-Charles Lévêque, Étienne-Jules Marey, Jean-François Nourrisson, Michel Bréal, Gabriel Tarde, Henri Bergson, Étienne Gilson. À cette liste s'ajoutent les professeurs de biologie, de médecine, de paléontologie, de neurosciences, ou d'économie politique. Le colloque, dont les contributions sur quelques-uns des savants mentionnés ci-dessus sont réunies dans le deuxième volume de la collection « Passage des disciplines », a été organisé par Alain Prochiantz et Antoine Compagnon dans le cadre du projet « Passage des disciplines : Histoire globale du Collège de France, xixe siècle - xxe siècle », qui s'intéresse à l'évolution des matières enseignées aussi bien que celles qui ont n'y ont pas été admises et qui forment un « Collège virtuel », depuis la fin du xviiie siècle jusqu'aux années 1960. Il est dirigé par Antoine Compagnon, avec la collaboration de Céline Surprenant et le soutien financier de PSL (2016-2019), et de la Fondation Hugot.
Qu'en a-t-il été de la réception de Sigmund Freud au Collège de France, « pépinière » de l'innovation scientifique ? C'est la question à laquelle tentent de répondre les auteurs des études rassemblées dans ce volume, en se penchant sur quelques professeurs du Collège de France, dont les enseignements et l'oeuvre jalonnent la réception des idées freudiennes en France : Alfred Maury, Pierre Janet, Henri Bergson, Paul Valéry, Marcel Mauss, Émile Benveniste, Maurice Merleau-Ponty, Jean-Pierre Vernant, Claude Lévi-Strauss, Michel Foucault. Ces études reprennent des interventions au colloque « Freud au Collège de France, 1885-2015 », qui s'est tenu les 16 et 17 juin 2015 au Collège, et qui a été organisé dans le cadre du programme de recherche « Passage des disciplines », dirigé par Antoine Compagnon, en collaboration avec Céline Surprenant. Ce programme s'intéresse à l'évolution des matières enseignées depuis la fin du xviiie siècle jusqu'aux années 1960 au Collège, en relation avec d'autres grands établissements parisiens, français et internationaux. Freud au Collège de France inaugure la collection « Passage des disciplines », et dans celle-ci, une série de volumes dédiée à la réception au Collège de France, de « fondateurs de discursivité », pour reprendre l'expression de Michel Foucault, dont Darwin (2019), Einstein et Durkheim (2020).
La Grande Guerre n'a pas cessé de nous fasciner. Elle nous apparaît comme un moment de profonde rupture non seulement historique et géopolitique, mais aussi épistémologique et même civilisationnelle. Nos façons de comprendre le monde, de le voir, de le penser, ont été transformées autour de ces années-là. Quel rôle le conflit a-t-il joué dans ces bouleversements ? Dans quel contexte intellectuel s'est-il déclenché ? Et quels en ont été les effets à long terme - les ruptures et les reconfigurations dans les sciences, la philosophie, les lettres, les arts, les représentations, les mentalités, la société ? Antoine Compagnon est professeur au Collège de France, titulaire de la chaire de Littérature française moderne et contemporaine : histoire, critique, théorie. Il a édité, en collaboration avec Yuji Murakami, l'anthologie La Grande Guerre des écrivains, d'Apollinaire à Zweig (2014). Avec les contributions de Olivier Agard, Françoise Balibar, Jacques Bouveresse, Isabelle von Bueltzingsloewen, Yves Cohen, Marc Fontecave, Roland Gori, Claudine Haroche, Serge Haroche, Henry Laurens, Michelle Perrot, Roland Recht, Makis Solomos, Claudine Tiercelin, Céline Trautmann-Waller, Jürgen von Ungern-Sternberg, Anton Zeilinger.