Dans la suite des livres précédents traitant de l'individuation, de l'Etat de droit (La fin du courage, 2011 et Les Irremplaçables, 2015), et des rapports pathologiques entre ces deux dynamiques, ce nouvel essai revient ici plus spécifiquement sur la question du ressentiment.Dans une première partie, l'auteure opère un retour clinicien : pour un patient en analyse, l'objet de la cure n'est pas seulement la vérité mais la vérité capacitaire, autrement dit, la lutte contre le ressentiment personnel et la possibilité de faire quelque chose de sa souffrance. C'est à une approche capacitaire de la vulnérabilité à développer. L'auteure entreprend de se réinscrire dans une historiographie des philosophes psychanalystes ou des psychiatres rompus à la phénoménologie : Cassirer, Binswanger, Jaspers, etc. Il s'agit de définir une spécificité de l'analyse, son fonctionnement individuel et collectif, ou comment les analysants s'analysent entre eux via leur analyste. Donc une première partie autour de la clinique individuelle du ressentiment et de sa sublimation, et des ferments déjà « politiques » de la psychanalyse.Une deuxième partie, qui renvoie aux processus collectifs du ressentiment, très actifs à l'heure d'aujourd'hui dans le monde contemporain et mondialisé. Soigner, Gouverner, Eduquer. Cynthia Fleury développe ce continuum-là bien posé par Freud et d'autres. Là aussi, en quoi l'Etat de droit, le gouvernement démocratique n'est pas seulement une procédure institutionnelle, de scrutin, mais nécessairement un « soin », un prendre soin des individus pour éviter qu'ils ne basculent dans le ressentiment et ne soient dès lors plus à même de protéger l'Etat de droit.Avec ce nouveau projet, Cynthia Fleury avance dans cette veine qui lui est spécifique et qui se situe à la croisée de la philosophie, de la psychanalyse et de la politique. En outre, le sujet abordé, celui du ressentiment (personnel ou collectif), est au coeur des enjeux de société actuels.
Tel est le chemin éternel de l'humanisme : comment l'homme a cherché à se construire, à grandir, entrelacé avec ses comparses, pour grandir le tout, et non seulement lui-même, pour donner droit de cité à l'éthique, et ni plus ni moins aux hommes. Quand la civilisation n'est pas soin, elle n'est rien.
Cynthia Fleury Soigner, la chose est ingrate, laborieuse, elle prend du temps, ce temps qui est confisqué, ce temps qui n'est plus habité par les humanités. Ici se déploie une tentative de soigner l'incurie du monde, de poser au coeur du soin, de la santé, et plus généralement, dans nos relations avec les autres, l'exigence de rendre la vulnérabilité capacitaire et de porter l'existence de tous comme un enjeu propre, dans toutes les circonstances de la vie.
Cynthia Fleury expose une vision humaniste de la vulnérabilité, inséparable de la puissance régénératrice des individus ; elle conduit à une réflexion sur l'hôpital comme institution, sur les pratiques du monde soignant et sur les espaces de formation et d'échanges qui y sont liés, où les humanités doivent prendre racine et promouvoir une vie sociale et politique fondée sur l'attention créatrice de chacun à chacun.
Nous ne sommes pas remplaçables. L'État de droit n'est rien sans l'irremplaçabilité des individus. L'individu, si décrié, s'est souvent vu défini comme le responsable de l'atomisation de la chose publique, comme le contempteur des valeurs et des principes de l'État de droit. Pourtant, la démocratie n'est rien sans le maintien des sujets libres, rien sans l'engagement des individus, sans leur détermination à protéger sa durabilité. Ce n'est pas la normalisation - ni les individus piégés par elle - qui protège la démocratie. La protéger, en avoir déjà le désir et l'exigence, suppose que la notion d'individuation - et non d'individualisme - soit réinvestie par les individus. 'Avoir le souci de l'État de droit, comme l'on a le souci de soi', est un enjeu tout aussi philosophique que politique. Dans un monde social où la passion pour le pouvoir prévaut comme s'il était l'autre nom du Réel, le défi d'une consolidation démocratique nous invite à dépasser la religion continuée qu'il demeure.
Après Les pathologies de la démocratie et La fin du courage, Cynthia Fleury poursuit sa réflexion sur l'irremplaçabilité de l'individu dans la régulation démocratique. Au croisement de la psychanalyse et de la philosophie politique, Les irremplaçables est un texte remarquable et plus que jamais nécessaire pour nous aider à penser les dysfonctionnements de la psyché individuelle et collective.
S'est fait ressentir le besoin de disposer d'un manifeste qui viendrait poser sans hiérarchie ce qui ne peut nous être volé, du silence à l'horizon, de la santé au temps long, de même que les méthodes et approches qui permettraient d'éviter que ce vol ait lieu. Cette charte aurait vocation à inspirer tous ceux qui ont besoin de réarmer leur désir, de s'appuyer sur quelques compagnons déjà constitués, de partager des méthodes de conception et de déploiement et d'arpenter ensemble les chemins de la «vie bonne». Car nous sommes des hommes dont l'humanisme est fragile; et chacun d'entre nous tisse dans la matière de sa vie des façons de se lier à des collectifs plus régulateurs, tout en assumant un principe d'individuation digne de ce nom, test de crédibilité de l'État de droit. Il s'agit dès lors d'inventer une technique de la furtivité - d'où cette charte tient sa désignation, le Verstohlen -, c'est-à-dire de maintien au monde en y consolidant nos pouvoirs d'agir et nos libertés.