Quel est le point de vue des Indiens sur la question du point de vue ? Comment repenser la métaphysique depuis le regard du jaguar ? Dans ce recueil d'entretiens, l'anthropologue brésilien Eduardo Viveiros de Castro nous introduit à une pensée neuve : le perspectivisme amérindien. À partir des cosmogonies autochtones, c'est un rapport au monde au-delà des oppositions entre Nature et Culture, Sujet et Objet, qu'il s'agit d'affirmer. Lévi-Strauss, les masques, la littérature, les jaguars, les vautours ou les pécaris, tout cela est mobilisé dans un discours synthétique qui renverse totalement nos habitudes de penser. Un appel à un autre régime de perception.
L'originalité du commentaire de Viveiros de Castro s'exprime de deux manières : 1. en proposent une analyse inédite de la réception philosophique de Clastres en France. 2. en montrant en quoi l'oeuvre de Clastres a introduit une "révolution copernicienne" dans les théories classiques de l'anthropologie politique qui voudraient que l'État organisé fût la finalité de toute société.
Viveiros de Castro se saisi du mot d'ordre de Clastres « société contre l'État » en faisant du signifiant «indigène» le mot d'ordre d'un Brésil « mineur » (Deleuze et Guattari :
Comme devenir résistant à une norme répressive). Pour montrer cela il développe l'idée de « politique indigène » qui, au regard de la crise environnementale, redéfini le politique selon nos capacités à habiter, partout localement, la Terre.
Quoi de plus contraire, en apparence, qu'anthropologie et métaphysique ? L'anthropologie ne se doit-elle pas de ranger les croyances métaphysiques dans le mobilier d'une "culture" et s'en tenir là ? Ce serait ignorer les transformations profondes qu'a connues cette discipline dans les dernières décennies.
Au lieu de partir de l'idée préconçue qu'elle doit reconstituer aussi " objectivement " que possible les cultures des peuples étrangers, sa partie la plus vivante s'attache à mettre en évidence des cosmologies qui excluent précisément le partage de la nature et de la culture. L'anthropologue n'est plus en position de surplomb par rapport à un " objet ", mais fait de son terrain le lieu d'une expérience de pensée radicale qui ne recule devant la remise en question d'aucun fondement.
L'anthropologie devient une métaphysique qui ne se distingue de la traditionnelle que par un trait, certes essentiel : elle fait plus confiance en la vertu du plus étranger pour " penser autrement " que dans le génie isolé du penseur de cabinet, ressassant interminablement une tradition narcissique. S'en dégage une métaphysique des devenirs autant qu'une épistémologie des savoirs anthropologiques, qui doit à Deleuze et Lévi-Strauss aussi bien qu'aux Indiens Tupis du Brésil, et qui ne distingue jamais le travail du concept d'un effort pour décoloniser la pensée.
Les premiers missionnaires débarqués au Brésil sont confrontés à un curieux paradoxe : alors que les Tupimamba acceptent volontiers la doctrine chrétienne et se convertissent, ils ne renoncent pas pour autant à leurs coutumes féroces, au cycle infernal des guerres intertribales, au cannibalisme et à la polygamie. Cette apparente inconstance, cette oscillation entre respect de la nouvelle religion et oubli de sa doctrine, entraîne finalement les Européens à déclarer que les Tupinamba sont fondamentalement sans religion, incapables de croire sérieusement en une quelconque doctrine. Dans cet essai, le célèbre anthropologue brésilien Eduardo Viveiros de Castro, figure tutélaire des études actuelles en ethnologie amazonienne, revisite les sources du XVIe siècle pour restituer les enjeux de cette « inconstance de l'âme sauvage », en laquelle se disputeraient deux manières fondamentalement différentes de penser le monde et la société. Il nous invite à remettre en cause, dans une perspective à la fois historique et anthropologique, le rapport entre culture et religion.
Le défi posé à l'anthropologie contemporaine est de trouver le moyen d'échapper à l'anthropocentrisme des modernes formé par le partage entre nature et culture. Avec Bruno Latour et Philippe Descola, Eduardo Viveiros de Castro fait partie des principaux théoriciens qui soutiennent que cette opposition n'a aucun fondement universel.
En réponse à ce problème, Viveiros de Castro présente dans ce livre les fondements de son approche qu'il nomme le «perspectivisme» : si Darwin nous a enseigné que les êtres humains sont des animaux, les amérindiens nous font comprendre en quel sens les animaux peuvent être humains. Par ce renversement de «perspective», l'auteur introduit de nouvelles clés pour comprendre les conséquences de ces cosmologies pour le monde occidental à l'ère de l'anthropocène.
Cet essai d'Eduardo Viveiros de Castro est un véritable manifeste d'anthropologie et un pamphlet politique.
L'auteur réécrit l'histoire du Brésil à partir du concept d'ethnocide. Du point de vue des opprimés il montre qu'au Brésil, le signifiant exemplaire de la minorité ethnique est l'indigène. Ce qui permet à Viveiros de Castro de poser l'alternative politique décisive à l'ère de l'anthropocène : soit envisager l'Indien comme pauvre, et le maintenir dans une trame progressiste-productiviste-consumériste pour penser son émancipation, soit concevoir le pauvre comme l'Indien, et libérer alors la gauche de son imaginaire productiviste en l'invitant à prendre la voie d'une forme d'autonomie susceptible de toujours mieux composer avec la condition terrestre de l'humanité.