Dites seulement une parole, ô parole de Lorna, cette parole que vous dites, et elle résonne, résonne, dites seulement " Toi je te garde grand fou ! ", et la mort refermera les portes à Kénalon.
Il n'est rien qui se puisse entendre hors le poème. Il n'est pas de poème sans Lorna. Jacques Crickillon.
Ceci n'est pas un livre, un poème, une narration.
C'est un couteau sanglant, c'est un portrait sans fard du poète en temps de détresse. c'est la haute figure esseulée du roi méhaigné dont la plaie ne cesse de saigner le mal du monde - et qui continue cependant de pêcher. c'est l'inouï courage de l'improbable. c'est un évangile. le livre saint qui, dans la solitude du chevalier errant, combat le dragon du malsain. c'est le grand livre de toutes les impostures dénoncées.
C'est un coup de glaive porté, magistral dans le goitre de l'indécence contemporaine. c'est un pas de côté salubre de plus. c'est la défaite des imbéciles - et une grande victoire pour la résistance.
Dans ce livre dérangeant, profondément tonique, se conjurent des vers et des proses, des hymnes et des sketches, des prières et des farces et sarcasmes, une mythologie qui associe la spiritualité himalayenne, le jour à jour des basses terres, et Auschwitz, et la cave de l'enfant martyr.
Crickillon, " l'Indien " comme on le surnomme, repart en guerre avec l'humain comme il ne va pas. On rit beaucoup, on frémit, et par la souveraine cruauté de l'évidence on se retrouve investi de la lumière de l'amour.
La poésie est l'inattendue parataxe d'un destin qui n'a pas admis son ancrage.
Quand nous étions à Kénalon, tout nous était signe. Signe d'un Dieu, d'un dé ? Tout nous était l'écriture de notre âme unique, et ainsi ne passe pas le temps de Kénalon, et ainsi sommes-nous aujourd'hui et demain signes vibrants de Kénalon. Au-delà, mystère. Le reste, le plus au-delà, c'est connaissance de Lorna. (Jacques Crickillon.)
De très petites bêtes, mortes chaque hiver, et parfois de semaine en un jour, suivent nos destinations avec une tendresse dérisoire.
Ou est-ce toi qui te considérant à travers leur tenace fragilité verses des larmes sur ton être en alarme ? Majuscules de nuit, perdurez-nous, qui n'avons de pierre où cacher cette éperdue nudité. Ainsi j'allais, double, sur le chemin des sarcophages. Quand. Quand Lorna dit. Quand Lorna dit qu'il est temps de vivre.
Qui vient d'un long voyage est lourd de ses bagages. Dans « Litanies », on retrouve tout ce que l'auteur a glané au fil de ses vagabondages : il y a du chant lyrique, de la notation quotidienne, des hymnes d'amour et des cris de colère, des évocations de contrées parcourues et des visions grotesques. Bref, le carquois de l'archer fait flèche de toute gamme, de toutes beautés croisées, de tous les éblouissements comme d'autant de révoltes.
Ce sont de grandes orgues qui peuvent émettre un son de crécelle ou la note aiguë de la flûte la plus affûtée. Crickillon est aussi un homme-orchestre, solennel comme un grand ensemble symphonique et dérisoire comme un musicien de rue. Cette absence d'apprêts voisinant avec la noblesse fait sa liberté, sa force et sa grandeur. Il démontre ici, dans un invraisemblable lâcher-tout de fantasmes, de fatrasies, d'aveux et d'aventures qu'il est l'éternel trappeur des hautes terres, le chantre dont nos temps semblaient à tout jamais privés.
Dans ce que sera peut-être demain notre monde, un champ de ruines hanté par la violence, des êtres solitaires, au bout du rouleau, cherchent à s'en sortir. Mais ces tentatives désespérées sont vouées à l'échec, car la ruine a gagné l'être même. On perd peu à peu la mémoire, on sait seulement qu'il dut y avoir jadis, dans l'enfance peut-être, un paradis qu'on a manqué. L'obsession du sexe et de la violence mine sans cesse une lancinante nostalgie. Comment retrouver une identité ? Par la culture universelle peut-être, dont d'innombrables bribes resurgissent aux consciences malades de tous ces êtres en fuite vers leur mort. Des récits qui se répondent, se prolongent pour former le roman de nos terribles solitudes.