«Quand le souffle passait en sifflant au-dessus de ma tête, c'était le vent dans les grands arbres de la forêt, et non la pluie. Quand il rasait le sol, c'était le vent dans les buissons et les hautes herbes, mais ce n'était pas la pluie. Quand il bruissait et chuintait à hauteur d'homme, c'était le vent dans les champs de maïs. Il possédait si bien les sonorités de la pluie que l'on se faisait abuser sans cesse, cependant, on l'écoutait avec un plaisir certain, comme si un spectacle tant attendu apparaissait enfin sur la scène. Et ce n'était toujours pas la pluie.Mais lorsque la terre répondait à l'unisson d'un rugissement profond, luxuriant et croissant, lorsque le monde entier chantait autour de moi dans toutes les directions, au-dessus et au-dessous de moi, alors c'était bien la pluie. C'était comme de retrouver la mer après en avoir été longtemps privé, comme l'étreinte d'un amant.» Le travail d'Alain Gnaedig, un des plus éminents traducteurs des langues scandinaves, mais aussi l'auteur d'une nouvelle traduction de Dickens, rend enfin tout son éclat à la prose de Karen Blixen, en proposant au lecteur français une traduction fidèle de l'original danois de La ferme africaine, un des titres les plus populaires de la littérature du vingtième siècle.
Les lecteurs de La ferme africaine ne manqueront pas de se réjouir de la publication des lettres que Karen Blixen a envoyées à sa famille, au Danemark, entre 1914, date d'une arrivée en Afrique qui coïncida avec son mariage, et 1931, date de son départ définitif, le coeur brisé, après une série d'échecs. Ces lettres révèlent la personnalité, jusqu'ici assez secrète, de cette aristocrate aux prises avec une vie à laquelle elle n'avait nullement été préparée et qui prend au sérieux, et même au tragique, une entreprise purement commerciale à l'origine. Un gouffre se creuse peu à peu entre une femme et son entourage, une catastrophe ultime met sa vie en péril ; il devient alors urgent de préserver un sens à sa vie, au-delà des mers et du désespoir. Cette correspondance, à la fois journal intime et gazette, constitue également un document de première importance sur la vie d'une communauté blanche en terre «coloniale» à l'aube d'un XXe siècle qui va mettre en question la suprématie européenne. Témoin privilégié, Karen Blixen découvre, à sa propre stupéfaction, qu'il existe des alternatives en matière de culture. Enfin, par les recoupements qu'il permet avec La ferme africaine, ce livre est un document sur la littérature elle-même, sur ses conditions et ses nécessités.
Angelo est le disciple préféré d'Allori, et l'amant de sa femme. Allori, condamné à mort, va être exécuté. Angelo accepte de passer la dernière nuit en prison à sa place, pour lui permettre de rejoindre une dernière fois son épouse. Si le prisonnier ne revient pas, il sera exécuté. Angelo d'ailleurs éprouve un tel sentiment de culpabilité qu'il souhaite la mort...Tel est un des sept récits de cet admirable recueil, composé par l'auteur de La ferme africaine.
Presents the story of a remarkable and unconventional woman, and of a way of life that has vanished for ever.
Dans le château d'une petite principauté allemande, au début du siècle dernier, le peintre Cazotte, conseiller de la grande-duchesse, rêve en observant une jeune fille. Ce séducteur patenté déploie une patience infinie pour percer le mystère d'Ehrengarde, la farouche descendante d'une famille de militaires frustes et disciplinés. Mais il se sentira floué en voyant Ehrengarde, fidèle à son nom qui signifie «gardienne de l'honneur», compromettre sa réputation pour sauver celle de la famille patricienne qu'elle sert.Dans cette nouvelle, comme dans celles qui suivent, les personnages agissent sous l'empire de sentiments aussi désuets que l'amour, l'honneur et la fidélité, dans un monde où le rêve sert de contrepoint à la réalité.
Exilée en Norvège pour échapper aux massacres qui ont suivi la Commune de Paris, Babette est devenue la servante de Martina et Philippa, deux soeurs austères vouées au culte de leur père pasteur. Un jour, elle gagne dix mille francs-or à la loterie et leur demande comme une faveur de la laisser préparer un souper fin à la française. Potage à la tortue, blinis Demidoff, cailles en sarcophages, Clos-Vougeot 1846 en carafes de cristal, ce sera un festin.
Malgré leur serment solennel de « purifier leur langue de toute concupiscence », les convives de l'aride communauté nordique de Berlewaag céderont peu à peu aux délices de cette chair luxueuse venue du Sud. Et ainsi, « de vieilles gens taciturnes reçurent le don des langues ; des oreilles sourdes depuis des années s'ouvrirent pour les écouter. » Babette, elle, aura consacré toute sa fortune et déployé tous ses talents dans ce geste généreux de grande artiste.
Stéphane Audran, qui fut l'inoubliable Babette du film de Gabriel Axel, nous initie, avec Karen Blixen, à ce don premier de l'oralité.
Karen Blixen avait l'habitude de dire que son coeur était resté au Kenya, " enterré à Ngong Hills " avec Denys Finch Hatton, mais l'écrivain que nous connaissons n'en est qu'au début de sa carrière lorsqu'elle doit rentrer au Danemark, en 1931.
Après le volume des Lettres d'Afrique, ces Lettres du Danemark couvrent donc les trente dernières années de la vie de Karen Blixen, et présentent un double intérêt pour le lecteur français. D'une part, ce choix de lettres, établi Carl-Gustaf Bjurström, permet de mieux comprendre le caractère très complexe d'une femme hors du commun, qui parle librement de ses sentiments et de ses difficultés. D'autre part, de nombreuses lettres nous permettent de suivre les ambitions littéraires de Blixen, d'accompagner le triomphe des Sept contes gothiques aux États-Unis et la très longue rédaction de La ferme africaine.
Dans la deuxième partie de l'ouvrage, de nombreuses lettres s'adressent aux jeunes poètes et intellectuels danois dont Karen Blixen aimait s'entourer - éclairant ainsi la période la plus controversée de sa vie -, puis à quelques membres de l'aristocratie danoise. Malgré la diversité des destinataires, quelques thèmes - l'Afrique, les ennuis de santé, les problèmes d'argent et d'héritage, mais surtout la difficulté d'écrire - sont récurrents et l'ensemble constitue un témoignage passionnant sur un des écrivains les plus populaires du XXe siècle.
Ce recueil contient douze contes datant de toutes les périodes de l'oeuvre de la romancière danoise : de la veine fantastique de ces débuts à celle plus sobre, plus réaliste de la fin de sa vie. Ils mettent en scène une série de personnages dont l'héroïsme singulier se heurte aux vicissitudes de l'existence. Courage dans l'adversité, ingéniosité et sens du sacrifice s'exaltent dans Les fils de rois. L'opulence et le mensonge s'opposent à l'humilité et la vertu, non sans une pointe d'humour, dans Oncle Théodore. Tandis qu'illusions et désillusions des genres s'affrontent et se confondent dans Carnaval. Aussi à l'aise en anglais qu'en danois, Karen Blixen nous démontre que le conte est bien l'instrument privilégié de l'exploration des mystères de la personnalité et des obsessions fondamentales de l'humanité.
Ce recueil réunit la quasi totalité des contes et nouvelles écrits par Karen Blixen, ce qui constitue la majeure partie de son oeuvre, à l'exception de deux récits, La ferme africaine et Ombres sur la prairie, et d'un roman noir «romantique», Les voies de la vengeance. Dès 1907, Karen Blixen écrits des contes pour des revues : en 1934 sept Contes gothiques, onze Contes d'hiver en 1942 et en 1957, elle réunit dans un dernier volume les nouveaux contes d'hiver. Écrits en anglais ou en danois, ces contes ont en commun une imagination exaltée, une jubilation contagieuse à raconter des histoires. Et le lecteur adulte retrouve alors à les lire, comme autrefois à les entendre, toute la fraîcheur inaltérée d'un plaisir goûté dans l'enfance.
C'est l'immense succès du film Out of Africa, tiré de son roman La Ferme africaine, qui a fait connaître du grand public Karen Blixen. Son oeuvre de nouvelliste était déjà connue d'un cercle de fidèles fervents. Il restait à découvrir ses essais, qu'elle écrivit de 1923 à 1959, traduits en français pour la première fois. Elle unit à la rigueur de l'analyse l'élan narratif hérité de la tradition des contes. Qu'elle parle de son amour pour Shakespeare ou du mariage à la mode, de l'islam ou de la sympathie pour le continent africain, qu'elle établisse - avant tout le monde - des analogies entre le statut des femmes et celui des Noirs, qu'elle évoque Berlin en proie au nazisme, Londres l'été avant la tourmente, ou ses ruines après la guerre, ou encore, qu'elle s'amuse à définir, pour l'un et l'autre sexe, les mérites comparés de la robe et du pantalon, elle se révèle l'un des esprits les plus libres et les plus réellement subversifs de son époque.
Karen Blixen, cet esprit libre, a construit un labyrinthe de contes. L'imprévisible ensorceleuse propose aussi des fils, étroitement enlacés, pour en trouver l'issue. L'art divin du conte est celui du travestissement. Qui donne le meilleur récit:Dieu, le destin ou l'artiste? Il n'y a pas de morale dans les créations de l'auteur de La Ferme africaine, la vie est bien trop facétieuse, une histoire en contient toujours tellement d'autres, aucun n'est celui qu'il prétend être jusqu'à ce que tombent les masques. Rien ne vaut une bonne histoire. On peut avoir tout perdu, c'est l'histoire qui contient en elle-même la raison de vivre.
«14 janvier 1914, sur l'océan Indien. En vue, l'Afrique-Orientale anglaise, Mombasa, le quai. La Danoise Karen Dinesen y pose le pied, accueillie par un serviteur somali Farah, se marie avec son fiancé suédois Bror, devient baronne von Blixen-Finecke, grimpe dans un train et découvre, altitude 2 000 mètres, le Ngong, six cents employés noirs, la plantation de caféiers. Une journée, une seule, elle s'en est emparée, ils seront dorénavant son Farah, son mari, son titre, ses collines, ses natives, ses acres. Une femme de vingt-neuf ans, à la quête improbable d'elle-même et d'une position dans le monde, se voit offrir en quelques heures un rang et un royaume, pas moins pour elle. Comme il tendrait un écran illimité à ses projections les plus démesurées, le destin lui sert l'Afrique dans sa grandeur brute. Elle s'en éprend à l'instant même et pour toujours, à en mourir.» Martine Bacherich.