Le Livre De Poche
-
« Lorsque Gregor Samsa s'éveilla un matin, au sortir de rêves agités, il se trouva dans son lit métamorphosé en un monstrueux insecte. Il reposait sur son dos qui était dur comme une cuirasse, et, en soulevant un peu la tête, il apercevait son ventre bombé, brun, divisé par des arceaux rigides, au sommet duquel la couverture du lit, sur le point de dégringoler tout à fait, ne se maintenait que d'extrême justesse. D'impuissance, ses nombreuses pattes, d'une minceur pitoyable par rapport au volume du reste, papillonnèrent devant ses yeux. "Qu'est-il advenu de moi ?" pensa-t-il. Ce n'était pas un rêve. Sa chambre, une vraie chambre humaine quoiqu'un peu trop petite, était là, paisible entre les quatre murs familiers. »
Avec Kafka, le fantastique n'est plus un élément déroutant. Il devient tout naturel. Il est ressenti de l'intérieur. C'est en quoi Kafka, comme Proust, Joyce ou Céline, est une des clefs de la littérature du XXe siècle. Roger Nimier.
Préface inédite de Philippe Lançon.
Postface de Brigitte Vergne-Cain et Gérard Rudent.
Traduit de l'allemand par Brigitte Vergne-Cain et Gérard Rudent -
Italo Calvino Le Vicomte pourfendu Au cours d'une bataille contre les Turcs, Médard de Terralba, chevalier génois, est coupé en deux par un boulet de canon. Ses deux moitiés continuent de vivre séparément, l'une faisant le bien, l'autre mutilant tout sur son passage.
Ce conte est pétri d'humour et de cynisme. Le monde imaginaire de Calvino où des doigts coupés indiquent la route à suivre, où les lépreux vivent heureux a pourtant toutes les couleurs du réel. Et Le Vicomte pourfendu prouve avec brio que la vertu comme la perversité absolues sont également inhumaines.
-
Dans le Harlem des années 1950 se nouent les destins de quatre adolescents : Julia, l'enfant évangéliste qui enflamme les foules, Jimmy, son cadet, Arthur, le talentueux chanteur de gospel et Hall, son frère aîné. Trente ans plus tard, Hall tente de faire le deuil d'Arthur et revient sur leur jeunesse pour comprendre la folle logique qui a guidé leur vie. Pourquoi Julia a-t-elle subitement cessé de prêcher ? Pourquoi le quartet s'est-il dispersé ? Pourquoi Arthur n'a-t-il jamais trouvé le bonheur ? Un roman magistral, où la violence et l'érotisme sont maîtrisés par la tendresse et l'humour du poète.
L'un des plus beaux chants de fraternité, d'amour, d'espérance et d'expiation. Alain Mabanckou.
Baldwin écrit au plus près de la psyché de ses personnages, les inflexions de son écriture, ses images et ses cadences épousent leurs mélodies internes, angoisse, rage, incertitude, et donnent à ce livre ce mélange de force irrésistible, de jaillissement des tréfonds de l'être, et de fragilité, de vulnérabilité d'une nudité sans apprêts. Damien Aubel, Transfuge.
Préface d'Alain Mabanckou.
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Christiane Besse. -
Le maître et Marguerite
Mikhaïl Boulgakov
- Le Livre De Poche
- Biblio Romans
- 31 Janvier 1996
- 9782253037293
-
Tôt le matin, tard le soir, Clarissa Dalloway se surprend à écouter le clocher de Big Ben. Entre les deux carillons, une journée de printemps, une promenade en ville, le flux des états d'âme et le long monologue d'une conscience.
Clarissa tente de « sauver cette partie de la vie, la seule précieuse, ce centre, ce ravissement, que les hommes laissent échapper, cette joie prodigieuse qui pourrait être nôtre ». Et pourtant résonne déjà dans ce livre, le plus transparent peut-être de l'oeuvre de Virginia Woolf, comme la fêlure de l'angoisse ou le vertige du suicide. -
« Nous ne vivons plus sous la crainte d'un Dieu, d'une justice immanente, d'un Fatum comme dans la Cinquième Symphonie ; non ! plus rien de tout cela ne nous menace. » Notre monde n'est plus hanté que par des pannes. Pannes de voiture, par exemple, comme celle de la Studebaker d'Alfredo Traps, un soir, au pied d'un petit coteau...
Et voilà comment ce sympathique quinquagénaire rencontre ce jour-là son Destin, charmant vieux monsieur qui l'invite à passer la nuit chez lui. Juge à la retraite, celui-ci passe d'excellentes soirées, en compagnie de ses amis, l'avocat et le procureur, à reconstituer de vrais procès.
Celui d'Alfredo Traps commence comme un jeu...
La Panne, ce chef-d'oeuvre d'humour noir, a été porté à l'écran en 1972 par Ettore Scola, sous le titre La Plus Belle Soirée de ma vie.
-
Dans une maison du Sud de la France, à la tombée du jour, un homme se souvient. Jeune Américain installé à Paris pour fuir un père autoritaire et ses propres démons, David est fiancé à l'intrépide Hella. Alors que celle-ci séjourne en Espagne, il flâne dans la ville et fréquente le milieu homosexuel parisien, réprimant tant bien que mal ses propres désirs. Un soir, il fait la connaissance de Giovanni, et toutes ses certitudes basculent. C'est dans la minuscule chambre de Giovanni, théâtre de leurs amours et de leurs déchirements, que David fait l'expérience de la tendresse, de l'indécision et de la lâcheté, avançant inéluctablement vers le drame. Publié en 1956, ce roman majeur, chef-d'oeuvre de James Baldwin, explore avec une infinie délicatesse les thèmes du désir, de l'identité, de l'amour et de la trahison.
Préface de Colm Tóibin.
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Elisabeth Guinsbourg. -
Salman Rushdie Les Enfants de minuit « Je suis né dans la maternité du docteur Narlikar, le 15 août 1947. (...) Il faut tout dire : à l'instant précis où l'Inde accédait à l'indépendance, j'ai dégringolé dans le monde. Il y avait des halètements. Et, dehors, de l'autre côté de la fenêtre, des feux d'artifice et la foule. Quelques secondes plus tard, mon père se cassa le gros orteil ; mais cet incident ne fut qu'une vétille comparé à ce qui m'était arrivé, dans cet instant nocturne, parce que grâce à la tyrannie occulte des horloges affables et accueillantes, j'avais été mystérieusement enchaîné à l'histoire, et mon destin indissolublement lié à celui de mon pays. (...) Moi, Saleem Sinai, appelé successivement par la suite Morve-au-Nez, Bouille-sale, Déplumé, Renifleux, Bouddha et même Quartier-de-Lune, je fus étroitement mêlé au destin - dans le meilleur des cas, un type d'implication très dangereux. Et, à l'époque, je ne pouvais même pas me moucher. » Saga baroque et burlesque qui se déroule au coeur de l'Inde moderne, mais aussi pamphlet politique impitoyable, Les Enfants de minuit est le livre le plus réussi et le plus attachant de Salman Rushdie. Traduit en quinze langues, il a reçu en 1981 le Booker Prize.
-
Reconnu comme l'un des plus grands auteurs de la littérature hongroise et l'un des maîtres du roman européen, l'écrivain Sandor Marai (1900-1989) s'inscrit dans la lignée de Schnitzler, Zweig ou Musil. L'auteur des Révoltés, des Confessions d'un bourgeois ou de La Conversation de Bolzano n'a eu de cesse de témoigner d'un monde finissant, observant avec nostalgie une Europe mythique sur le point de s'éteindre. À travers la dramatique confrontation de deux hommes autrefois amis, Les Braises évoque cette inéluctable avancée du temps. Livre de l'amitié perdue et des amours impossibles, où les sentiments les plus violents couvent sous les cendres du passé, tableau de la monarchie austro-hongroise agonisante, ce superbe roman permet de redécouvrir un immense auteur dont l'oeuvre fut interdite en Hongrie jusqu'en 1990.
-
Le coeur est un chasseur solitaire
Carson Mccullers
- Le Livre De Poche
- Biblio Romans
- 9 Mars 1983
- 9782253031758
De ce roman foisonnant de personnages se déache la figure adolescente de Mick, qui ressemble étrangement à Carson McCullers. Pauvre, passionnée de musique, elle rôde dans les cours des immeubles pour surprendre les accents d'une symphonie qui s'échappent d'un poste de TSF : Cette musique ressemblait parfois à de petits morceaux de cristal colorés et, quelquefois, c'était la chose la plus douce, la plus triste que l'on pût imaginer.
Mick et bien d'autres personnages s'entrecroisent dans ce roman qui emprunte ses décors au Sud des Etats-Unis où vécut Carson McCullers dans l'immédiat avant-guerre. Elle avait vingt-deux ans quand elle publia ce premier livre, qui est sans doute son chef-d'oeuvre.
Texte intégral
-
Dans quel monde entrait le vieil Eguchi lorsqu'il franchit le seuil des Belles Endormies ? Ce roman, publié en 1961, décrit la quête des vieillards en mal de plaisirs. Dans une mystérieuse demeure, ils viennent passer une nuit aux côtés d'adolescentes endormies sous l'effet de puissants narcotiques.
Pour Eguchi, ces nuits passées dans la chambre des voluptés lui permettront de se ressouvenir des femmes de sa jeunesse, et de se plonger dans de longues méditations. Pour atteindre, qui sait ? au seuil de la mort, à la douceur de l'enfance et au pardon de ses fautes. -
"Vous n'êtes pas du tout une femme convenable, Madame Colette... Vous êtes la fière impudeur, le sage plaisir, la dure intelligence, l'insolente liberté : le type même de la fille qui perd les institutions les plus sacrées et les familles." Jean Anouilh. "La grandeur de Madame Colette vient de ce qu'une inaptitude à départir le bien du mal la situait dans un état d'innocence." Jean Cocteau.
Colette a cinquante-neuf ans quand elle publie, en 1932, ces pages où elle s'interroge sur l'opium, l'alcool et les autres plaisirs qu'on dit charnels, à travers le souvenir de trente années de vie parisienne. "On s'apercevra peut-être un jour que c'est là mon meilleur livre", disait-elle.
-
A bout de forces, trop fatiguée pour bouger le petit doigt je laissai machinalement mon regard s'attacher à ton reflet sur la vitre. Tu avais fini de frotter le canon et tu remontais la culasse, que tu avais également nettoyée. Alors tu levas et abaissas plusieurs fois le fusil en épaulant à chaque fois. Mais peu après le fusil ne bougea plus. Tu l'appuyas fermement contre ton épaule et tu visas, en fermant un oeil. Je me rendis compte que le canon était manifestement dirigé vers mon dos.Yasushi Inoué Le Fusil de chasse, ou les multiples facettes d'une impossible passion. Trois lettres, adressées au même homme par trois femmes différentes, forment la texture tragique de ce récit singulier. Au départ, une banale histoire d'adultère. A l'arrivée, l'une des plus belles histoires d'amour de la littérature contemporaine. Avec une formidable économie de moyens, dans une langue subtilement dépouillée, Yasushi Inoué donne la version éternelle du couple maudit.
-
Nous avons des yeux pour voir. Pour connaître Dieu nous avons notre existence.
Voici le témoignage le plus poignant de toute l'histoire de la littérature.
Que devient un homme quand le verbe pénètre en lui, décide de sa vie, et lui fait espérer un mystérieux salut ?
« Nous avons été chassés du paradis mais le paradis n'a pas été détruit pour cela. » Ce paradis qu'on doit retrouver sera d'autant plus beau qu'on revient de loin.
Kafka relate tout ce qui l'envahit et l'abat : peur de la maladie et de la solitude, désir et crainte du mariage, lutte contre le milieu familial et religieux. Étouffé par ses scrupules, il ne perd jamais de vue sa vie spirituelle dont il attend force et lumière.
Ce Journal, c'est tout l'ennui de la vie et le salut qui l'éclaire. -
Le Coeur des ténèbres s'inspire d'un épisode de la vie de Conrad en 1890 dans l'État libre du Congo mis en coupe réglée au profit de Léopold II. De cette expérience amère, l'écrivain a tiré un récit enchâssé dont chaque élément, à la façon des poupées russes, dissimule une autre réalité : la Tamise annonce le Congo, le yawl de croisière la Nellie le vapeur cabossé de Marlow, truchement de Conrad. Ces changements d'identité sont favorisés par les éclairages instables au coucher du soleil ou par le brouillard qui modifie tous les repères et dont émerge Kurtz. Présenté par de nombreux personnages bien avant d'entrer en scène, celui-ci fait voler en éclats toutes les définitions et finit par incarner le coeur énigmatique des ténèbres : le lieu où se rencontrent l'abjection la plus absolue et l'idéalisme le plus haut.
-
Sarah Bernhardt, le rire incassable
Françoise Sagan
- Le Livre de Poche
- Biblio Romans
- 21 Août 2024
- 9782253907831
Voici une biographie littéraire où la voix de l'autrice, sa musique, son style comptent autant que le personnage auquel elle s'attache.
C'est aussi la rencontre de deux femmes : l'une écrit, l'autre chante, peint, courtise, pose, compose ou joue.
Pour sa première expérience de biographe, Françoise Sagan pétille d'intelligence, de verve et d'esprit, et se distingue de tous ceux qui ont encensé ou condamné Sarah Bernhardt, en prenant le parti d'interroger son héroïne dans un portrait-miroir.
Elle nous livre une femme plus vivante, plus brûlante, plus drôle surtout que celle que nous connaissions jusqu'ici, surtout dans les plus tragiques moments de son existence. Comme un rire incassable. -
A Visegrad, c'est sur le pont reliant les deux rives de la Drina - mais aussi la Serbie et la Bosnie, l'Orient et l'Occident - que se concentre depuis le xvie siècle la vie des habitants, chrétiens, juifs, musulmans de Turquie ou « islamisés ». C'est là que l'on palabre, s'affronte, joue aux cartes, écoute les proclamations des maîtres successifs du pays, Ottomans puis Austro-Hongrois.
C'est la chronique de ces quatre siècles que le grand romancier yougoslave Ivo Andri 'c, prix Nobel de littérature en 1961, nous rapporte ici, mêlant la légende à l'histoire, la drôlerie à l'horreur, faisant revivre mille et un personnages : de Radisav le Serbe empalé par le gouverneur turc, à Fata qui se jette du pont pour éviter un mariage forcé, et au vieil Ali Hodja, le Turc traditionaliste, qui voit avec consternation surgir les troupes de l'empereur François-Joseph.
En 1914, le pont endommagé dans une explosion demeure debout. Sinistre présage, cependant, grâce auquel ce roman paru en 1945, oeuvre d'un écrivain bosniaque par sa naissance, croate par son origine et serbe par ses engagements d'alors, nous paraît aujourd'hui mystérieusement prophétique. -
« Pour les Blancs de la côte et les commandants de navires, il était Jim - rien d'autre. Evidemment, il avait une identité plus complète, mais il n'acceptait pas de l'entendre mentionner. Son incognito - qui était aussi percé qu'un tamis - ne visait pas à dissimuler une personne, mais un fait. Lorsque celui-ci traversait le masque, il quittait sans délai le port où il se trouvait et partait pour un autre, généralement plus loin vers l'Est.
Jim en appelait à la fois aux deux versants de l'âme - celui qui regarde constamment la lumière du jour et celui qui, telle la face cachée de la lune, reste sournoisement tapi dans une obscurité perpétuelle, avec parfois seulement une furtive lueur brumeuse venant caresser ses bords.
Son attitude mystérieuse me fascinait, comme s'il avait été un prototype de sa race, comme si la vérité obscure qu'il recelait était assez grave pour affecter la conception que l'humanité se fait d'elle-même. » J. C.
Postface de Sylvère Monod. -
« Le grand moment était venu. Le barrage roulant s'approchait des premières tranchées. Nous nous mîmes en marche... Ma main droite étreignait la crosse de mon pistolet et la main gauche une badine de bambou. Je portais encore, bien que j'eusse très chaud, ma longue capote et, comme le prescrivait le règlement, des gants. Quand nous avançâmes, une fureur guerrière s'empara de nous, comme si, de très loin, se déversait en nous la force de l'assaut. Elle arrivait avec tant de vigueur qu'un sentiment de bonheur, de sérénité me saisit.
L'immense volonté de destruction qui pesait sur ce champ de mort se concentrait dans les cerveaux, les plongeant dans une brume rouge. Sanglotant, balbutiant, nous nous lancions des phrases sans suite, et un spectateur non prévenu aurait peut-être imaginé que nous succombions sous l'excès de bonheur. » Ernst Jünger.
Le livre d'Ernst Jünger, Orages d'acier, est incontestablement le plus beau livre de guerre que j'aie lu.André Gide. -
Dans un village à la lisière de la civilisation, Michaël, fils d'une veuve, clôt son enfance par un exploit. Tous pensent alors que s'ouvre à lui un destin à remuer le monde. Mais la nature, l'amour et l'amitié bouleversent la destinée de ce jeune berger. À rebours de son époque remplie de ressentiment, Ernst Wiechert cueille les humbles dans les lueurs douces de sa frappante écriture et délivre en d'intenses mélodies une leçon intemporelle : mieux vaut chérir le monde que le conquérir. Ému par la sagesse fougueuse de ce livre et par ses élans dignes de Cormac McCarthy, Frank Bouysse signe ici une préface qui fait entendre la note vibrante de cette noce en l'honneur des vaincus et du vivant.
Roman d'un berger interroge notre rapport à la nature, au temps et au silence. Thomas Stélandre, Libération.
Élégiaque et mu tout entier par l'amour des humbles, ce livre est au roman de terroir ce qu'une aria de Bach est à tous les cocoricos. Yann Fastier, Le Matricule des anges.
Préface de Frank Bouysse.
Traduit de l'allemand par Sylvaine Duclos. -
Je vois encore Douglas, debout, le dos au feu, les mains dans les poches, le regard baissé sur son interlocuteur. «Jusqu'à présent, personne d'autre que moi n'en a entendu parler. C'est par trop horrible.» Plusieurs voix s'étant naturellement élevées pour déclarer que cela donnait le plus grand prix à la chose, notre ami nous regarda les uns après les autres avec un art consommé et poursuivit, ménageant son triomphe : «Cela surpasse tout. Je ne connais rien qui s'en rapproche.» Je me rappelle avoir demandé : «Rien d'aussi franchement terrifiant ?» Il eut l'air de dire que cela n'était pas si simple, de se trouver en peine de qualificatif. Il se passa la main sur les yeux et fit une petite grimace : «Rien d'aussi épouvantablement... épouvantable !» «Oh, quel délice !» s'écria quelqu'un - une femme.
Le Tour d'écrou est unanimement considéré comme le chef-d'oeuvre d'Henry James. Borges a même écrit que, selon lui, «aucune époque ne possède des romans de sujet aussi admirable que Le Tour d'écrou...» Une intrigue serrée, un mode narratif subtilement ouvragé, des personnages plus vrais que nature, une atmosphère étouffante : le fantastique rejoint le quotidien et s'impose comme une version possible de la réalité.
Pour la première fois, grâce à la magie d'une traduction réussie, l'univers de James devient directement accessible au lecteur français. -
La seule chose qui me gênât un peu, c'était, malgré mon dégoût de la nourriture, la faim quand même. Je commençais à me sentir de nouveau un appétit scandaleux, une profonde et féroce envie de manger qui croissait et croissait sans cesse. Elle me rongeait impitoyablement la poitrine ; un travail silencieux, étrange, se faisait là-dedans.
-
Oblomov ? D'abord un mythe littéraire aussi vivant et emblématique en Russie que Don Juan, Don Quichotte ou Faust pour le reste du monde. Et ce mythe a inspiré un néologisme : l'oblomovisme. Une manière d'être, de penser, d'imaginer et surtout de patienter. En un mot, une manière slave de vivre. Oblomov, dans le moelleux de sa vieille robe de chambre orientale, est un propriétaire terrien. Un personnage qui laisse passer le temps. Parler de paresse serait trop simple. Oblomov se livre plutôt à une sorte de rêverie utopique et engourdissante. Alors il peut renouer avec les dorlotements de son enfance. Proie facile, il est exploité, grugé, dépouillé par son entourage. Et sa fiancée Olga a bien du mérite à vouloir le sauver. En fait, Oblomov va tout perdre, jusqu'à sa santé. Mais dans une sorte de bonheur léthargique, d'humilité et d'accomplissement accepté du destin.
Publié en 1858, le roman de Gontcharov est l'un des plus grands romans de la littérature russe du xixe siècle. Tour à tour émouvant, drôle, tendre, avec des moments de lyrisme teintés parfois d'érotisme. « Une oeuvre capitale », disait Tolstoï. « Servie par un talent éblouissant », ajoutait Dostoïevski. -
Nabokov le magicien...
Après Joyce et quelques autres, il a hissé le trompe-l'oeil, le parodique, le faux-semblant, l'illusion, l'effet de miroir et l'effet de masque au rang d'un art - l'un des plus grands.
Lui, le joueur d'échecs, le linguiste virtuose, le collectionneur de papillons a collectionné aussi, durant sa carrière, les malentendus. "Lolita", en 1958, l'a rendu célèbre. Un roman peut cacher parfois une oeuvre. Danc cette oeuvre se détache aussi un autre monument : Ada. Parce que, pour une fois, Nabokov le pudique fait appel à sa mémoire affective. Mais avec des tours, des détours et des scintillements de la plus éblouissante fantaisie.
"ll n'est rien dans la littérature mondiale, sauf peut-être les réminiscences du comte Tolstoï, qui puisse le disputer en allégresse pure, innocence arcadienne, avec les chapitres de ce livre qui traitent d'"Ardis"..." dit lui-même Nabokov.
Bien entendu, il fait toujours croire sur parole un homme d'esprit.