Porté aux nues par les plus grands - d'Octavio Paz à Roman Jakobson et António Tabucchi -, Pessoa compte aujourd'hui, avec un Rilke, un Joyce ou un Kafka, comme l'un des sommets de la culture européenne de ce siècle.
Ce premier volume des proses publiées de son vivant par l'auteur réunit, parmi d'autres, certains des textes dont le style provocateur lui valut d'être remercié par les rédacteurs des journaux où ils furent publiés. Pessoa y soutenait « le contradictoire comme thérapeutique de libération », allant jusqu'à prétendre qu'« une créature de nerfs modernes, d'intelligence sans niveaux et de sensibilité éraillée a l'obligation cérébrale de changer d'opinion et de certitude plusieurs fois dans la même journée ».
Pour Pessoa, écrire, c'est comme fabriquer une bombe : il entoure sa dynamite d'une enveloppe de raisonnement, il lui met une traînée de poudre d'humour. Au lecteur d'allumer la mèche !
Jane Austen, Charlotte et Emily Brontë, Katherine Mansfield et Dorothy Richardson osèrent tour à tour entrer en un jardin interdit, afin de cueillir à l'arbre de la connaissance les fruits étranges et brillants de l'art.
Leurs oeuvres offrent, telle la grenade, sous une écorce parfois âpre, une chair douce et succulente emprisonnant en grains transparents la quintessence même de la vie ensoleillée, la substance sublimée de l'expérience.
Les essais réunis en ce recueil attestent qu'outre une grande romancière, Virginia Woolf fut aussi la plus brillante des pamphlétaires et la lectrice idéale de toutes celles qui cherchèrent un autre phrasé plus androgyne que féminin.
« J'ai vu peu à peu se dessiner et s'imposer à mon esprit une sorte de retable, en forme de triptyque déployé en désordre : à gauche, les deux épopées antiques revisitées ; au centre, un vaste paysage français représentant deux « siècles » successifs qui finissent par se fracasser l'un l'autre, l'un au nom de la gloire, l'autre au nom du bonheur. À droite, les deux romans, tous deux russes, qui se portent le mieux témoins de la guerre moderne et contemporaine, prévue et théorisée par le prussien Clausewitz, mais préparée en France dans les deux derniers siècles Bourbon, par des philosophes, théoriciens militaires, mais aussi par des peintres, sculpteurs et graveurs divorcés des délices « rocaille », tenues désormais pour incompatibles avec la vertu, le patriotisme et la liberté de citoyens « à l'antique ». Mais commençons par le milieu du triptyque, avant de ramener l'oeil intérieur du lecteur du côté de l'Antique, puis du côté de la modernité industrielle, manoeuvre opérée avec la liberté et la vitesse de livres que l'on retire sur l'étagère de la bibliothèque, où ils se trouvent juxtaposés sans tenir compte de l'ordre chronologique de leur parution. » M. F.
Dans ces échappées politiques et littéraires d'Homère à Grossman, Marc Fumaroli (1932-2020) nous convie à une méditation historique sur la paix et la guerre en Europe. Magistral essai posthume, Dans ma bibliothèque propose un nouveau « regard sur le monde actuel » tout aussi lucide et désillusionné que celui de Paul Valéry et où la sûreté du savoir est servie par toutes les ressources de l'éloquence.
Quelles sont les vertus « ordinaires » de nos vies, celles qui passent souvent inaperçues à notre manière d'être sensibles surtout à des gestes marquants ? Carlo Ossola nous les rappelle, vertus pour soi et pour les autres, vertus minimes et communes qui fondent et mesurent l'homme et la société.
Douze de ces qualités quotidiennes, Les vertus communes, ont paru aux Belles Lettres en 2019. Dans les détresses publiques de ces dernières années, poursuivant sa réflexion, il lui a paru nécessaire de mieux distinguer les exercices qui servent à nous former et les conduites à adopter avec les autres ; entre le corps de la société et notre corps subsistent des lacis qui peuvent nous fortifier ou nous étouffer : la vie simple est la manière directe de dégager le « propre » de notre agir.
Au début de l'année 1920, Friderike von Winternitz, une jeune et talentueuse romancière, devient l'épouse de Stefan Zweig, qu'elle connaît depuis 1912. C'est en femme résolue, aimante et « forte », comme elle le dit dans une des lettres qui précèdent leur mariage, qu'elle décide de l'assister dans sa vocation littéraire, mettant de côté sa propre carrière.
Jusqu'au début de l'année 1934, le couple et leurs filles vivent à Salzbourg puis leurs chemins se séparent : Stefan part vivre à Londres, où il tombe amoureux de sa secrétaire Lotte Altmann, tandis que Friderike reste en Allemagne. Après l'Anschluss, en 1938, le romancier divorce de Friderike, et au début de la guerre, se marie avec Lotte. Il n'en poursuit pas moins, jusqu'à son suicide à Rio en 1942, sa correspondance avec Friderike, lui confiant ses derniers tourments.
Au fil de cette abondante correspondance, la passion se mue en estime affectueuse. On y suit l'écrivain, de l'univers en décomposition du Monde d'hier, lieu de ses succès de jeunesse (cette Mitteleuropa dont il gardera toujours la nostalgie), aux années d'errance à travers une Europe ravagée par la barbarie nazie. La dernière lettre de Zweig à Friderike est écrite quelques heures avant son suicide : « Je suis certain que tu verras des temps meilleurs et tu me donneras raison de n'avoir pas pu attendre plus longtemps avec ma bile noire. »
Des lettres de condoléances ? Ce qui change tout et permet d'en faire un livre, c'est qu'un grand poète les a écrites et a trouvé les mots pour nous aider à assumer un deuil - peut-être qu'on ne s'y attendait pas de sa part. Et même s'il écrit qu'il trouve le mot consolation un peu léger, on osera dire que ses lettres font du bien et sont tout simplement consolantes. D'autant plus que nous avons parfois l'impression qu'il nous connaît et s'adresse à nous.
Le Guardian a fait l'éloge de ce livre à sa sortie en Angleterre, disant que c'était un trésor. Le mot est juste. Cette écriture chargée d'une humanité généreuse et réconfortante, nous prouve que l'on n'est plus dominé par les idées les plus noires dès lors qu'on les décrit, les consigne, les analyse, les enrichit philosophiquement - l'écrivain, dans ses pages, et nous, dans notre cerveau, une fois qu'on les a décodées grâce à lui.
Le monde est imparfait. Pour le délivrer des fléaux qui l'accablent, deux théories s'affrontent. La première veut une transformation par l'extérieur, c'est-à-dire une révolution qu'imposeraient tous les moyens justifiés par cette fin. C'est la position du commissaire. A l'opposé, le yogi cherche une transformation par l'intérieur sans recours à la violence. L'histoire de l'humanité n'est qu'une perpétuelle oscillation entre ces deux pôles : rationalisme et mysticisme.
Arthur Koestler analyse avec brio ces dilemmes dans le premier des articles et essais qui composent le présent volume mais, en fait, chaque texte - qu'il soit placé sous le titre général de digressions, d'exhortations ou d'explorations - est dans son essence une protestation contre le régime des commissaires et un appel à la raison, au bon sens, au besoin de liberté qu'il y a en chacun de nous. Tous sont des textes de combat écrits entre 1940 et 1944. Tous portent aussi la marque d'une intelligence incisive qui refuse les pièges de la rhétorique. En dépit du passage du temps, la plupart des conclusions d'Arthur Koestler restent valables et, même pour qui les récuse, ce volume apporte le plaisir rare d'une lecture qui stimule la réflexion et aide à comprendre la « res politica ».
Que trouve-t-on dans ces pages ? Un mélange varié et coloré, un bric-à-brac, un pêle-mêle. Toutes sortes d'informations, de faits historiques et de choses étonnantes, fascinantes ou amusantes sur le monde du livre. On voyage à travers le vaste continent de l'imprimé, en toute liberté et sans autre but que de glaner quelques bribes de savoir et d'émerveillement. On flâne sans s'appesantir au coeur de ces miscellanées, et l'on découvre des bibliothèques perdues ou légendaires, sur le Titanic ou dans la Rome ancienne, les bibliothèques personnelles du général de Gaulle, de Jean-Luc Godard ou Karl Lagerfeld, les sulfureux « Enfers » des livres interdits, les boîtes vertes des bouquinistes de Paris, le « quartier latin » de Tokyo ; on apprend ce qu'est le format in-octavo, la norme ISO 216 ou l'indice Dewey ; on voit le plus petit livre du monde et le plus grand, le portrait du Bibliothécaire d'Arcimboldo et les livres jaunes de Van Gogh ; on entend parler d'autodafés, de censures, de grimoires, de coquilles et de manuscrits mystérieux. Ludique, désordonné, parfois futile, ce condensé de culture livresque n'en est pas moins foisonnant et instructif ; il surprendra les lecteurs les plus érudits et trouvera naturellement sa place dans toutes les bonnes bibliothèques.
Notre langage est devenu faible, accablé de néologismes et rongé par l'à-peu-près. En un mot : pauvre. Notre langage va mal. Ainsi le monde que nous déchiffrons. Comment sortir du chaos de l'approximation ? Comment nous réapproprier nos mots ?
Songez que la plus simple marguerite contient en elle une perle, un rayon de lune et l'histoire d'un amour rarissime ; ou que le secret des confins, inaccessibles et inquiétants, est en réalité d'accueillir l'autre avec confiance.
Avec 99 mots, Andrea Marcolongo dessine un atlas étymologique et nous montre comment et pourquoi l'histoire de ces mots est une boussole précieuse pour qui voudra bien s'en munir.
Et si notre instinct de la langue et l'amour des étymologies donnaient le pouvoir de changer le monde ?
« Il existe un livre bien connu, La Grande Étude des femmes (Onna daigaku), qui considère que seules les femmes sont coupables et qui les attaque violemment, mais moi, j'ai vraiment pitié de ces femmes. J'en viens à vouloir écrire un livre que j'intitulerais La Grande Étude des hommes (Otoko daigaku), où je critiquerais les hommes. »
Dans une lettre privée adressée à un ami en 1870, Fukuzawa Yukichi (1835-1901), penseur le plus influent de son époque, déclare la guerre à la conception de la femme que la morale confucianiste impose au Japon, notamment grâce à La Grande Étude des femmes, manuel de la bonne épouse destiné aux jeunes filles des classes supérieures. Il va mener ce combat jusqu'à sa mort, dans un ensemble de textes publié ici en français pour la première fois. Ses écrits confirment que les questions de la femme et du couple sont des enjeux stratégiques du processus de modernisation d'un pays.
Prise au piège de l'Histoire à l'orée de la Seconde Guerre mondiale, Rachel Bespaloff relit l'Iliade à la lumière des évènements contemporains. Scrutant la pensée grecque avant qu'elle ne devienne dialectique, elle y distingue une forme de pensée particulière, essentiellement éthique et proche de la pensée biblique. Elle la définit comme la science des moments de détresse totale où l'absence de choix dicte la décision. Mode particulier de pensée qui prévaut chaque fois que l'homme se heurte à lui-même à un tournant de son existence. Il n'en resterait pas de traces s'il n'y avait la poésie pour en témoigner.
Précédé d'une introduction de Monique Jutrin, le texte de De l'Iliade est accompagné de deux articles de la même époque, L'humanisme de Péguy et Le monde du condamné à mort de Camus ainsi que d'un inédit : Les deux Andromaques.
L'objectif de ce livre est de vérifier dans quelle mesure nous avons compris quelque chose de travers, et si oui, comment redresser la barre.
Depuis longtemps déjà, la crise des humanités nous menace. Ou du moins, c'est ainsi qu'on en entend parler. Les spécialistes d'études classiques s'inquiètent de la logique marchande qui ferme départements et facultés, coupe dans les budgets, et réduit les effectifs. Certains tentent de répondre à des chiffres par des chiffres, et à un déficit de popularité par un gain de popularité.
L'hypothèse défendue ici est que les humanités auraient avantage à travailler sur les objets populaires actuels. Par « objets » je désigne des artefacts, des produits matériels d'activités humaines comme des textes, des tableaux, des sculptures, des partitions de musique, ou des téléphones mobiles. Par « populaires », j'entends ce qui relève de la culture dite de masse, comme la musique de variété, les séries télévisées, les transports publics, ou les produits de supermarché ; et par « actuel », je désigne ce qui se passe aujourd'hui d'un point de vue temporel.
Précédé d'un portrait de l'auteur par Henry James, le présent recueil groupe cinq conférences prononcées par Ralph Waldo Emerson entre 1838 et 1844.
On y retrouve la pensée puissante d'Emerson, à l'image de l'idéal démocratique des « pères fondateurs » des États-Unis. Au jeune Américain de son temps, il attribue la mission d'éclairer le monde par l'exemple impeccable de son comportement, individuel comme collectif. Et celui qui en a la suprême responsabilité, c'est the scholar, l'intellectuel. « Un intellectuel est le favori de la terre et des cieux, l'élite de son pays, le plus heureux des hommes. »
L'Étude de la poésie grecque représente la partie de l'oeuvre du cadet des Schlegel antérieure à l'avènement du premier romantisme concrétisé par la publication de l'Athenäum dont les initiateurs furent les frères Schlegel et le jeune Novalis. Contrairement à ce que semble indiquer la date d'impression de L'Étude de la poésie grecque (1797), c'est à partir de 1795 que Friedrich Schlegel rédige son traité. À cette date, il est encore tenant d'une esthétique normative du Beau, objective et naturelle. Il lui oppose celle des Modernes qui relève, selon lui, du subjectif, de l'artifice, voire du laid. Pour autant, son analyse, fouillée et subtile, par endroits d'une interprétation délicate, révèle un analyste en chemin vers une conception de l'art qui trouvera à se formuler justement dans les livraisons de la nouvelle revue. Vue sous cet angle, L'Étude de la poésie grecque est le moment clé où se produit le basculement annonciateur de la nouvelle axiologie.
Avec ce provocant paradoxe, Nassim Nicholas Taleb, l'auteur du best-seller Le Cygne Noir, nous offre un enseignement d'une portée révolutionnaire: comment non seulement surmonter les cataclysmes de notre temps - ces Cygnes Noirs qui fondent sur un homme, une culture, une civilisation, les bouleversent et les réduisent à néant -, mais en faire une source de bienfaits.
De même que le corps humain se renforce à mesure qu'il est soumis au stress et à l'effort, de même que les mouvements populaires grandissent lorsqu'ils sont réprimés, de même le vivant en général se développe d'autant mieux qu'il est confronté à des facteurs de désordre, de volatilité ou à quoi que ce soit à même de le troubler. Cette faculté à non seulement tirer profit du chaos mais à en avoir besoin pour devenir meilleur est « l'antifragile », à l'image de l'antique Hydre de Lerne dont les têtes se multipliaient à mesure qu'elles étaient coupées.
Riche, limpide et spirituel, promenant son lecteur dans les rues tonitruantes de Brooklyn, les chemins de la pensée antique, les dédales de l'affaire Kerviel, de la « gauche caviar » ou les méandres des neurosciences avec autant d'aisance et de légèreté profonde, ce livre, dont la science n'est jamais sans conscience, laisse une question en suspens: êtes-vous prêt à devenir antifragile ?
On a pu dire qu'en demandant à un homme - ou à une femme - s'il préfère Tolstoï ou Dostoïevski, on peut « connaître le secret de son coeur ». Avec son érudition et sa verve coutumière, George Steiner explore ici les différences qui opposent le monde d'Anna Karénine et celui des Frères Karamazov. Ce sont deux interprétations du destin de l'homme, de l'avenir de l'Histoire et du mystère de Dieu que nous pouvons ainsi mieux comprendre. Car grâce au constant jaillissement des idées de l'auteur de Langage et Silence, le lecteur se trouve comme forcé d'entrer dans un dialogue passionné avec des thèmes aussi éternels que fondamentaux.
« Les livres indispensables nous accablent avec plus de force encore que la mort de l'aimé. Ce qu'ils ont en commun, ce qui rattache les rares exemples profanes au canonique, c'est bel et bien leur statut de textes sacrés, de convocation et d'assignation à l'humanité. Ils nous appellent et nous mobilisent. Le premier coup sur le crâne nous oblige à garder les yeux ouverts. »
L'Iliade et l'Odyssée, la Bible, Péguy, Kafka, Husserl, Kierkegaard... George Steiner nous donne à lire ici quelques-uns de ces textes indispensables où notre culture contemporaine croise la tradition. C'est notre patrimoine qu'il nous transmet par ces lectures. Peut-être pour faire de nous de véritables héritiers.
Paris, la plus belle ville du monde ? Plus tout à fait.
Depuis des années, Paris « se réinvente »... Paris s'efface. Le miraculeux équilibre entre la modernité et le patrimoine qui faisait son génie est rompu. Son patrimoine urbain se délite, son patrimoine artistique et architectural est délaissé, son patrimoine végétal est détruit. Didier Rykner dresse dans ces pages, d'une verve toute parisienne, un réquisitoire à charge. Méthodiquement, faits et photographies à l'appui, il pointe les égarements ineptes d'une mairie inapte à prendre parti pour sa ville. C'est que Didier Rykner aime Paris et porte la voix de nombre de ses habitants et amoureux qui entendent bien ne pas voir disparaître l'ambition exceptionnelle d'une métropole unique qui est aussi une oeuvre d'art totale.
Il n'est pas question ici des grandes vertus héroïques qui demandent de l'abnégation et qui participent du sublime. Les « vertus communes » concernent notre vie quotidienne, et leur vocabulaire est minime : ne pas peser sur la terre, s'en tenir à la discrétion de ne pas apparaître, à cette retenue pleine d'empressement qui est le centre de la vie sociale. Carlo Ossola nous invite à parcourir un chemin de sagesse en faisant halte auprès de douze petites vertus : l'affabilité, la discrétion, la bonhomie, la franchise, la loyauté, la gratitude, la prévenance, l'urbanité, la mesure, la placidité, la constance, la générosité, qu'il est bon d'exercer chaque jour, au travail, dans la vie familiale, et avec nous-mêmes. Pour guider chacun à faire de sa vie ordinaire une vie heureuse.
Ce livre est le témoignage de la profonde amitié personnelle et intellectuelle qui a lié George Steiner et Nuccio Ordine. L'amour des classiques, la passion de l'enseignement, la défense du rôle du maître, la fonction essentielle de la littérature qui rend l'humanité plus humaine constituent les thèmes d'un intense dialogue, nourri de plus de quinze années de rencontres et de voyages dans diverses villes européennes. Ordine trace un portrait original de George Steiner, en le peignant sous les traits d'un « hôte importun ». Car Steiner a habité la littérature, le judaïsme et l'existence comme un hôte très particulier : ne respectant ni les conventions ni les tabous, il a dit ce que beaucoup auraient préféré ne pas s'entendre dire. Il a rappelé à Israël qu'un Juif ne saurait être un nationaliste et que sa condition lui impose d'avoir toujours sa valise à portée de main. Il a aussi invité à plus d'humilité ses propres collègues, en exposant la nature « parasitaire » de la critique littéraire et la vitale priorité qui doit être accordée aux classiques. Mais c'est également sa conception même de la vie qui trouve dans l'idée d'« hôte » son véritable fondement. Un tel art est aussi nécessaire qu'il est difficile à pratiquer. Être un hôte, ce n'est pas se sentir tenu d'observer passivement les règles de celui qui nous accueille, bien au contraire : c'est avoir l'occasion de contribuer à l'amélioration de notre propre vie et de la vie commune.
Ira-t-on encore à l'opéra dans quelques années ? Si on a annoncé à maintes reprises la mort de l'art lyrique depuis quatre cents ans, tous les signaux sont désormais au rouge vif, avec la malédiction des coûts croissants, les tensions sur les finances publiques et sur le mécénat, les mises en scène ringardes ou avant-gardistes, la cancel culture et l'éloignement de la génération Z. Dès avant la crise de la Covid-19, accélératrice de périls qui a entraîné à partir du printemps 2020 la fermeture des salles de spectacles, les menaces étaient déjà sérieuses et le pronostic sur l'état du patient très réservé. Pourtant, l'art lyrique a les moyens de revenir au centre de la culture populaire. Des pistes existent et doivent être explorées sans tarder.
Garante d'un vivre-ensemble harmonieux, la tolérance s'impose comme le fondement éthique qui promeut toutes les diversités. Aujourd'hui, elle est menacée. Par les intolérants bien sûr, qui nient sa pertinence. Mais tout autant par le dogmatisme de certains de ses défenseurs qui, militants du « diversitaire » et de la rectitude politique, en pervertissent le sens profond. Raymond Massé, exemples à l'appui, analyse les questions liées aux multiculturalismes et aux libertés religieuses : les communautarismes et la promotion d'une laïcité ouverte servent-il les intérêts de la tolérance ? Toute différence commande-t-elle un respect inconditionnel ? Ce respect repose-t-il sur un relativisme radical ou sur des valeurs universelles partagées ? Pour éviter les dérives d'une tolérance comme abdication indifférente face aux quêtes de reconnaissance identitaire, il est urgent de définir une tolérance qui relève le défi de la nuance.
Pour Virginia Woolf, les livres doivent tenir tout seuls sur leurs pieds : ils n'ont besoin d'aucune exégèse pour être appréciés par leurs lecteurs. C'est vrai mais cela ne l'a pas empêchée - pour notre bonheur - de consacrer plus d'un article à ses confrères auteurs vivants ou morts et à leurs oeuvres. Et quels articles ! On en trouvera ici quelques exemples parmi les plus pertinents en même temps que certaines de ses réflexions sur la lecture et l'écriture. Ainsi défilent pour notre plus heureux plaisir, éclairés par la fulgurante intelligence de la grande Virginia, Robinson Crusoé, David Copperfield, Tchekhov, Lewis Carroll ou encore Thoreau, Conrad et Jane Austen. Ce sublime panorama se termine par ses réflexions relatives à une question qui reste d'actualité : « Est-ce que l'on écrit et publie trop de livres ? ». Celui-ci, du moins, nous manquerait s'il n'existait pas.
Qu'est-ce qui distingue le journal qu'a tenu Virginia Woolf de tant d'autres journaux intimes ? On le lit comme un roman, car il est bien écrit. Comme un roman policier, car le suspense est là : année par année, on assiste sur le vif à la naissance de ses livres. À partir de quelques mots... Presque rien. Ensuite, on l'accompagne dans la plus belle des aventures artistiques. Jusqu'au dénouement, Oh, quel soulagement, se réveiller et se dire : « j'ai terminé ». Comme dans une série on a envie de vivre les prochains épisodes. Heureusement il y en a. La Chambre de Jacob, Mrs Dalloway, Vers le Phare, Orlando... De plus on n'est jamais lassé car Virginia Woolf en dit beaucoup - et on a l'impression que c'est à nous, lecteurs, qu'elle le dit - sur elle, ses hésitations, sa confiance dans les mots, les bonheurs qu'elle sait nous faire partager, son angoisse au moment de la publication, qui la rend littéralement malade. Et en parallèle, elle écrit des centaines de lettres où, là encore, elle dévoile inlassablement les secrets de son travail. C'est le journal d'un écrivain et, plus encore, le journal d'une vie. Qu'elle a poursuivi jusqu'au mot fin de cette vie.
Virginia Woolf (1882-1941) fut l'une des pionnières de la littérature moderne avec ses romans (Croisière, Mrs. Dalloway, Les Vagues) et ses essais (Le Commun des lecteurs où elle fait une large place à la littérature russe du XIXe siècle et au travail d'écriture en général). Mais aussi une féministe, dans sa vie comme dans son oeuvre (Un Lieu à soi, Trois Guinées). Elle reste l'une des pierres angulaires de la littérature anglaise de son siècle.