En janvier 1953, Roger Blin crée En attendant Godot devant les quelques spectateurs du théâtre de Babylone ; la pièce, qui devient aussitôt l'emblème du théâtre de l'absurde, fait en quelques années le tour du monde : elle est considérée aujourd'hui comme un classique du XXe siècle. En près de cinquante ans, le regard que nous portons sur elle a profondément changé : nous n'y cherchons plus de symboles, mais ne finissons pas d'en explorer les signes ; plus qu'à la hantise du vide et à la thématique de l'absence, nous sommes sensibles à la présence des corps et à la réalité des objets. Derrière le trop fameux dialogue de sourds, nous entendons aujourd'hui un mode subtil et musical de communication. Bref, l'absurdité a laissé la place à l'ambiguïté, et l'antithéâtre nous apparaît comme le théâtre par excellence, qui fait triompher le jeu, sous toutes ses formes. L'histoire des mises en scène le montre : les clochards métaphysiques intemporels et désincarnés n'ont cessé de se rapprocher de nous, pour devenir nos intimes et nos contemporains. Et ce qui nous frappe chez ces vagabonds qu'on disait à bout de souffle, c'est leur inépuisable énergie : à l'image de tout le théâtre de Beckett, En attendant Godot représente à sa façon le triomphe de la vie (Giorgio Strehler).
Rares, en France, sont les ouvrages consacrés à la préhistoire du théâtre de Pirandello, dont l'apparition fut pourtant extrêmement tardive. De là le titre de cette étude, qui retrace non seulement l'histoire de sa vie, mais son itinéraire spirituel et intellectuel replacé dans le contexte politique et social de l'époque, celle du décadentisme. La démarche est essentielle si l'on veut comprendre l'oeuvre de ce Sicilien traversée par tous les courants de la pensée européenne, car si l'on reconnaît dans la peinture qu'il nous offre d'une humanité terne, où les individus sont profondément ancrés dans leurs préjugés, tout occupés de leurs intérêts mesquins et sordides, la petite bourgeoisie intellectuelle des provinces méridionales de l'Italie, la portée de son observation dépasse de beaucoup ce milieu restreint. C'est pourquoi il apparaît, finalement, comme le grand dramaturge de l'aliénation humaine.
La Poétique d'Aristote est l'oeuvre fondatrice de toute réflexion sur la création épique et tragique. Elle n'a été invoquée, en fait, que par l'intermédiaire d'Horace et des théoriciens classiques français : à ce titre, elle a souffert récemment du mépris des modernes, puis a été récemment redécouverte. On s'est aperçu de son aspect étrangement moderne ; seuls les grands créateurs, même quand ils croyaient s'en affranchir, l'ont comprise et mise en pratique : Racine, malgré Boileau, les romantiques allemands, Hegel, les tragiques modernes, comme Giraudoux... La présente étude replace l'oeuvre dans son contexte historique littéraire, biographique, philosophique ; elle donne une synthèse des analyses aristotéliciennes, qui tient compte des avancées les plus récentes de la recherche ; enfin, elle retrace la fortune de l'oeuvre, depuis l'Antiquité romaine jusqu'à Barthes et Todorov.
À l'origine de l'oeuvre de Nathalie Sarraute, une impulsion qui pousse à s'avancer vers, à s'élancer contre : impulsion de recherche, d'entame, d'attaque, par laquelle le sujet et le texte réagissent à une « forme » qui, toujours, menace. Cette forme qui est ici, sans relâche, ébranlée (idée reçue, sentiment de convention, personnage, mot qui étouffe...) est ce contre quoi l'oeuvre s'écrit, et ce sur quoi se fonde la réflexion esthétique de l'écrivain : d'où la formidable cohérence de cette oeuvre, qui réfléchit, d'une manière aussi radicale que naturelle, son propre fonctionnement. C'est sous le signe de ce mouvement irrépressible, que sont étudiés ici les différents choix formels de Nathalie Sarraute : moments narratifs, éclats de discours et de voix, images fugitives, retours modulés et altérés du même, composent une poétique de l'instable, par où la réalité peut s'appréhender dans son éternelle agitation.
Cet ouvrage est une réédition numérique d'un livre paru au XXe siècle, désormais indisponible dans son format d'origine.
Si constant, si général, si banal qu'on ne s'en étonne même plus, un fait est pourtant remarquable. Quelque avenir que nous ayons imaginé, il ne se réalise jamais sans que nous en soyons secrètement déçus. Quelle est l'origine d'une aussi infinitésimale mais aussi universelle déception ? Pour l'élucider sont ici analysés le passage de l'imagination à la perception, du possible au réel, l'attente, le désir et le temps.
Jean-Jacques Rousseau n'est pas seulement le premier écrivain à revendiquer le malheur d'écrire. Contre l'hégémonie de la culture, de la science et de-la technique, contre la destruction de la nature, contre la société du spectacle et de la consommation, il prend le parti de la sauvagerie, c'est-à-dire de la liberté absolue, quitte à passer pour fou plutôt que pour complice. L'optimisme des Lumières aboutit aux impasses du XXe siècle, il fallait une lecture radicalement moderne de Rousseau pour qu'il reste le fondateur de la sensibilité et de la pensée actuelles. Par ses refus autant que par ses choix, par sa pensée toujours libre et jamais domestiquée, par ses moeurs farouches, sa nature solitaire, par son rejet de la civilisation et de la culture, autant que par sa défense du primitif, Rousseau est bien un sauvage, dans tous les sens du terme.
Je ne peux mieux vous comparer qu'à un grand fleuve d'Amérique. Enormité et Douceur, écrit Flaubert à George Sand. Cet essai voudrait donner une idée de la variété, de la richesse d'une oeuvre qui traverse tout le XIXe siècle et qui a élaboré non seulement une esthétique, mais une éthique et même une métaphysique de l'abondance.
Ce livre a été écrit pour tous ceux qu'intéressent les problèmes du langage et plus particulièrement pour les étudiants en lettres, auxquels le passage de l'explication littéraire traditionnelle au commentaire stylistique pose des problèmes redoutables. Pour les résoudre, il a semblé qu'entre les ouvrages théoriques souvent difficiles à lire et les exercices de stylistique appliquée, il y avait place pour un livre d'initiation qui permette d'avoir une vue d'ensemble de ce vaste domaine. De là ces notions de stylistique générale, générale parce qu'elles s'appuient sur les données essentielles du langage, mais en même temps française dans la mesure où presque tous les exemples sont empruntés à notre langue. Le livre est divisé en deux parties. Puisque la stylistique traite avant tout des énoncés, sont définis d'abord les différents éléments de l'énonciation. Cette analyse permet ensuite de restituer à la notion de genre toute son importance, de classer les genres littéraires en fonction des rapports entre le dit et l'écrit, en redonnant à la notion aristotélicienne d'imitation toute sa valeur. Ce qui devrait inciter le lecteur à se poser certaines questions et à préciser les correspondances entre la littérature d'une part, la peinture et la musique de l'autre.
Dans les années cinquante, le roman africain explore une voie novatrice qui lui permet d'entrer dans le champ du roman contemporain. A condition d'inventer une poétique magique, le roman peut raconter l'événement pur, dégagé de toute représentation : l'enjeu est d'importance pour le roman africain qui, dès l'origine, a dû se débattre avec une image imposée de l'Afrique et de son histoire.
Des artistes du XXe choisissent de s'inspirer de récits médiévaux pour ranimer des mythes, ressusciter des figures, réactualiser des formes anciennes. D'Ezra Pound à Michel Rio, de Julien Gracq à Edward Bond, de Robert Bresson à John Boorman, en écoutant Yves Bonnefoy et Florence Delay, il s'agit de suivre cette trace médiévale qui désigne notre rapport poétique au Moyen Age.
Utilisant les formes d'écriture les plus diverses (proses, poèmes, notes fragmentaires), l'oeuvre poétique de Jaccottet témoigne d'une fidélité intransigeante à quelques intuitions de départ, qu'elles soient d'ordre éthique ou esthétique, mais elle tradui
L'ailleurs est interrogé ici à la fois à travers les récits d'écrivains modernes (de Loti, Conrad ou Malraux aux auteurs francophones récents) et à partir des enseignements du comparatisme, de l'histoire des idées et de l'histoire culturelle. Au croisement de ces diverses approches peut se dessiner une réflexion sur les relations de l'Europe lettrée aux autres civilisations.
Cet ouvrage est une réédition numérique d'un livre paru au XXe siècle, désormais indisponible dans son format d'origine.
L'Iliade n'est pas une suite monotone de duels sanglants. Le héros homérique est bien plus qu'un vaillant guerrier : il sait être orateur politique, devin, médecin et poète. Plus humain et plus complexe qu'un pur chevalier médiéval, il exprime, à travers ses valeurs, une vision du monde grec et indo-européen de concorde et d'harmonie.
Antidémocrates absolus et pamphlétaires redoutés, les anarchistes de droite ont surgi, depuis un siècle, à tous les moments cruciaux de l'histoire.
Cet ouvrage est une réédition numérique d'un livre paru au XXe siècle, désormais indisponible dans son format d'origine.
Un livre qui aide à rêver, qui réapprend à rêver.
Cette poétique de l'espace romanesque du XVIIIe siècle permet de mieux lire les romans de cette période, d'apprécier les variations, la banalité ou l'exception. Elle dessine du même coup plusieurs formes du rapport de l'homme au monde, où le XVIIIe siècle prend ses aises, jaillit du XVIIe et enjambe la Révolution.
Cet ouvrage rassemble seize études sur des lieux (tant autobiographiques que romanesques) où l'être stendhalien, épanoui ou morfondu, dessine une cartographie toute subjective, aux ordres du déni, colorée par la mémoire, avec ses points d'aimantation, ses zones de répulsion, ses frontières secrètes. Jeux infinis du clos et de l'ouvert, du dehors et du dedans, des échos, interférences et contrastes entre les sites de la vie et les configurations de l'écriture, entre les horizons et les livres.
Rattaché à FRANCE LOISIRS qui contribue à son fonctionnement, l'Observatoire France Loisirs de la lecture s'est fixé comme objectif la progression des connaissances sur la lecture, en mettant à la disposition de tous les professionnels du livre, des médiateurs culturels et de la communauté scientifique une source permanente et fiable de données et d'analyses : usages sociaux de l'écrit, évolution des habitudes de lecture, construction d'indicateurs permettant des comparaisons internationales.
R. Establet et G. Felouzis analysent des entretiens en profondeur conduits auprès de cinquante personnes, choisies pour leurs attitudes significatives à l'égard des médias dans l'enquête « Pratiques culturelles des Français ». Au fil des entretiens, on voit se dissoudre l'idée toute faite d'une concurrence terme à terme. Livre et télévision permettent des combinaisons variées de pratiques et d'attitudes : fidélités exclusives, consumérisme télévisuel inspiré par l'écrit, consumérisme de l'écrit guidé par la télévision, connivence des usages à des fins d'instruction, divertissements occasionnels trouvés dans le texte ou l'image.
En définitive, l'impact sociologique du livre est plus profond que celui de la télévision. La télévision n'unifie ni ses publics ni leurs pratiques. La lecture jette un pont entre autodidactes et diplômés et brouille un peu les clivages du champ culturel.
Roger Establet est professeur à l'Université de Provence.
Georges Felouzis est maître de conférences à l'Université de Bordeaux II et chercheur au LAPSAC.
Des spécialistes de la critique génétique, chacun avec son propre point de vue, entreprennent collectivement d'étudier les avant-textes de l'autobiographie Les mots.
Avec ce roman de 1834, où apparaissent non seulement l'absolu de la science, secret de la création, mais aussi l'absolu de l'amour, car «La recherche de l'absolu« est un véritable traité de l'art d'aimer, Balzac a trouvé l'absolu du roman, comme le mont
Roger Caillois propose ici un témoignage personnel sur l'aventure critique dans le domaine littéraire. Au-delà des approches techniques traditionnelles, il s'agit en effet de rendre sensibles les intuitions et les impressions d'un auteur face à l'écriture. De Corneille à Saint-John Perse, de Montesquieu à Saint-Exupéry, les « rencontres », au fil des pages, se multiplient et s'enrichissent, aussi révélatrices de l'importance des textes eux-mêmes que de la personnalité de Roger Caillois. Roger Caillois est membre de l'Académie française.