Verdier
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Ce livre parle d'aujourd'hui, de nos asphyxies et de nos grands besoins d'air. Parce qu'une atmosphère assez irrespirable est en train de devenir notre milieu ordinaire.
Et l'on rêve plus que jamais de respirer : détoxiquer les sols, les ciels, les relations, le quotidien, souffler, respirer tout court.
Peut-être d'ailleurs qu'on ne parle que pour respirer, pour que ce soit respirable ou que ça le devienne. Il suffit de prononcer ce mot, « respirer », et déjà le dehors accourt, attiré, aspiré, espéré à l'appel de la langue. -
Le monde de demain : Une Europe souveraine et démocratique - et ses ennemis
Robert Menasse
- Verdier
- La Petite Jaune
- 13 Février 2025
- 9782378562250
Après 1945, les nationalismes européens cédèrent la place à la coopération. Aujourd'hui ce projet de paix est menacé : les échecs démocratiques s'ajoutent aux crises qui conduisent au repli des populations et à la peur. Et, dans de nombreux pays, les hommes politiques ne font plus que fustiger l'Europe et attiser le nationalisme.
Robert Menasse explique et défend ici l'idée européenne, invitant à critiquer et à surmonter les contradictions systémiques de l'Union.
L'Europe est une fois encore à la croisée des chemins : soit nous réussissons ce qui n'a encore jamais eu cours dans l'histoire, à savoir la construction d'une démocratie postnationale, soit nous retombons dans l'Europe des seuls États-nations - avec les conséquences et les dangers que l'histoire ne devrait que trop nous rappeler. -
« En quelle langue parler au lecteur ? ».
Souvenirs de la Kolyma est un cycle de textes écrits par Varlam Chalamov dans les années soixante-dix, soit une vingtaine d'années après sa libération des camps et son retour. Ils sont complétés par des évocations de ses contemporains, écrivains ou poètes, comme Pasternak, ainsi que par une étrange liste de 1961 qui énumère avec une sècheresse poignante ce qu'il a « vu et compris dans les camps ». Ces souvenirs, comme les Récits de la Kolyma, transmettent la réalité par fragments et s'interrogent avant tout sur ce que peut la langue et ce qu'est la mémoire.
« J'essaierai de restituer la suite de mes sensations - je ne vois que ce moyen de préserver l'authenticité de la narration. Tout le reste (pensées, paroles, descriptions de paysages, citations, raisonnements, scènes de la vie courante) ne sera pas suffisamment vrai. Et pourtant je voudrais que ce soit la vérité de ce jour-là, la vérité d'il y a vingt ans, et non la vérité de mon actuelle appréhension du monde. ».
Avec Souvenirs de la Kolyma, la collection « Slovo » poursuit le travail d'édition complète des oeuvres en prose de Varlam Chalamov, auteur fondamental du xxe siècle, désormais reconnu comme un des grands écrivains non seulement de l'histoire des camps, mais surtout de la littérature mondiale.
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De l'analyse approfondie de cas spécifiques, très variés, émerge ici une nouvelle perspective pour la microhistoire, dont Carlo Ginzburg est l'un des fondateurs.
Au centre de ces études se trouvent des personnages célèbres, comme Montaigne ou Italo Calvino, ou méconnus, comme Jean-Pierre Purry ou M. de La Créquinière, des textes ou des images... mais un élément récurrent : la réflexion sur la méthode historique, sur les liens entre études de cas et éléments du hasard, souvent délibérément produit.
Le lecteur de ce nouvel ouvrage de Carlo Ginzburg découvrira les résultats probants, la plupart du temps imprévisibles, d'une recherche fidèle au principe d'Aby Warburg : « Le livre dont vous avez besoin se trouve juste à côté de celui que vous cherchez. » -
Les transformations que réclame notre époque, face à l'épuisement de notre système productif, aussi bien qu'à la désagrégation de la vie commune, ne sont pas uniquement d'ordre économique, social ou politique. Il en va d'abord de notre rapport au temps, de la dimension philosophique et morale de son usage.
La dépossession et l'oubli du temps, aussi bien existentiel qu'historique, qui caractérise notre époque, nécessitent de repenser notre « sens du temps », de déterminer les conditions de possibilité d'une construction apaisée et maîtrisée de la durée. En dépend notre capacité à vivre et à agir avec responsabilité à l'égard de la réalité présente autant que des générations futures.
C'est en interrogeant le paradoxe énoncé par Sénèque : « Seul le temps nous appartient », que Pierre Caye entend ici montrer le caractère fondamental de notre rapport au temps, repensé notamment à partir de la revalorisation du présent, d'un présent bien plus riche que ce qu'on dénonce aujourd'hui sous le terme de « présentisme » ; ce qui ne va pas sans une critique des grandes philosophies du temps qui ont inspiré et modelé le xxe siècle, le siècle même de la destruction créatrice. -
Enquête sur les enjeux existentiels de la lecture de romans, Sur les lieux interroge la pratique et le désir des lecteurs qui se rendent sur les lieux de la fiction.
Que nous disent ces pèlerinages sur les pouvoirs de la fiction, sur la façon dont les livres, même ceux que nous pensons avoir oubliés, habitent en nous, contribuent à faire vibrer l'épaisseur de durée dans laquelle nous reconnaissons notre vie ? Que nous disent-ils de ce processus - contemporain de l'invention du tourisme, de la démocratisation des loisirs et de la mondialisation - qui voit la littérature devenir un substitut de la religion, ou une « école » de la vie ?
L'essai se déploie sous une forme résolument narrative, comme une odyssée, un périple circulaire de Constantinople à Istanbul, de Chateaubriand à Orhan Pamuk, en passant par Flaubert, Proust, Byron, les Goncourt..., un voyage à la fois dans l'espace et dans le temps, pour décrire l'évolution et l'état présent du souci littéraire. -
Le jour vient après la nuit, c'est notre point de départ.
Ce jour est celui de la « veille », qui alors ne désigne plus l'hier, mais l'attention, la responsabilité, le soin.
Jour qui procède de la nuit, la veille est demain. Ce qu'elle désigne et réclame dépend de ce qui se joue dans cette nuit. Rêve ou cauchemar, il nous faut le définir.
Ce texte propose pour cela quatre approches de la nuit, qui sont soeurs et qui se nouent : la nuit comme phosphorescence, la nuit comme accueil, la nuit comme intelligence, la nuit comme déluge. -
Quand nous nous sommes réveillés : nuit du 24 février 2022 : invasion de l'Ukraine
Luba Jurgenson
- Verdier
- La Petite Jaune
- 13 Avril 2023
- 9782378561680
Dans la nuit du 24 février 2022, l'attaque massive de la Russie contre l'Ukraine a réveillé toute l'Europe. Une paix globale et durable sembla soudain n'avoir été qu'un rêve.
Or, en amont de cet événement brutal, de petits indices laissaient présager ce glissement de la société russe vers un nouvel ordre impérial. Et peut-être que le carnaval sanglant qu'est l'« opération spéciale » a été rendu possible par une violence plus ancienne encore, ancrée jusque dans les familles, quotidienne, acceptée.
À travers des images de rêves, fragments de souvenirs, extraits de textes littéraires et réflexions, Luba Jurgenson interroge ces menus détails et dit le choc que l'attaque contre l'Ukraine produit sur le corps de l'Europe et sur une vie qui, comme la sienne, a été marquée par l'exil hors de l'URSS. -
Nous sommes ici, nous rêvons d'ailleurs
Patrick Boucheron, Mathieu Riboulet
- Verdier
- Litterature Francaise
- 5 Mai 2022
- 9782378561451
Les cinq textes de Mathieu Riboulet rassemblés dans Nous campons sur les rives (Verdier, 2018) furent écrits en amorce de ce que Patrick Boucheron allait dire sous la halle du village de Lagrasse cet été 2017 dans le cadre de ses « conversations sur l'histoire » qu'il anime depuis des années au Banquet du Livre.
En réunissant les préludes de l'écrivain et les interventions de l'historien, il s'agit ici de livrer, telles quelles, ces paroles autour de l'histoire, mondiale ou plus locale, de la littérature, des arts, des sciences, et de tout ce qui a nourri leur dialogue, leur imagination cet été-là. Ce livre est l'archive de la parole d'un nous.
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Néanmoins : Machiavel, Pascal
Carlo Ginzburg
- Verdier
- Sciences Humaines
- 8 Septembre 2022
- 9782378560799
Le poids d'un mot, étudié, soupesé, traqué comme une source, en dit plus sur le destin de la politique moderne que bien des généralités censées se dégager des évolutions.
Ainsi l'historien Carlo Ginzburg aborde-t-il ici la modernité politique - le découplage supposé du politique et du théologique -, en lisant de façon rapprochée, en philologue, Machiavel et Pascal.
L'ouvrage nous livre une série d'éclairages nouveaux sur une manière de penser la règle et l'exception, à l'épreuve des faits.
Au moment où sont développées des histoires mondiales, des histoires décentrées, qui nous permettent de penser le monde globalisé, Ginzburg insiste sur l'attention nécessaire et féconde qu'il convient d'accorder aux singularités, à travers l'examen précis des cas et l'étude philologique des textes.
À l'heure où l'on déplore que les intellectuels n'orientent plus la vie politique (en supposant confusément qu'ils le firent par le passé), à l'heure où semble s'imposer une vision « machiavélienne » selon laquelle les plus forts dictent le droit au nom d'un réalisme implacable, la leçon de Carlo Ginzburg est précieuse.
Penser, ce n'est pas reformuler les réponses de l'opinion, c'est changer de questionnement. -
Banni, honni, objet de tous les préjugés et de toutes les violences, le mendiant incarne bien souvent l'antithèse de l'homme accompli qui, par son travail et sa participation au jeu de la réciprocité sociale et économique, jouit de biens et de droits dans la communauté de ses semblables.
D'où vient un tel partage des vies, entre une forme légitime et celle qui lui sert de repoussoir ? Le mendiant n'est-il que cet « homme sans », réduit à des besoins et des manques, que voit en lui une longue tradition ayant érigé en modèle anthropologique « l'animal politique », soit le citoyen propriétaire ?
Ce livre propose d'interroger et de remettre en cause ce partage des vies, de penser à nouveaux frais la figure du mendiant et la pratique de la mendicité : non plus comme l'archétype de la vie amoindrie, mais comme une forme de vie critique, porteuse d'une vision renouvelée de la vie bonne, tant individuelle que collective. -
Le semeur d'yeux : sentiers de Varlam Chalamov
Luba Jurgenson
- Verdier
- Litterature Francaise
- 10 Février 2022
- 9782378560720
Ce livre est le fruit d'une longue expérience : celle de la lecture de Varlam Chalamov, écrivain majeur du xxe siècle qui fut aussi témoin d'une de ses réalités les plus sombres : le Goulag.
Témoignage ? oeuvre d'art ? Chalamov semble répondre par une formule fulgurante : « Ce qui devient grand dans l'art c'est ce qui, au fond, pourrait se passer d'art. ».
Saisir un tel acte de création dans son émergence est l'ambition de cet ouvrage qui n'élude pas la dimension subjective des interprétations proposées. Les « clefs » offertes par Chalamov n'ouvrent pas tout, pas tout de suite. Aussi cette lecture suit-elle les sentiers tortueux par lesquels l'oeuvre s'est construite. Elle épouse les détours, les va-et-vient d'une pensée à la chronologie bouleversée, au gré d'une mémoire fragmentée, censurée - celle des camps.
Et avec horreur j'ai compris que j'étais invisible à quiconque qu'il fallait semer des yeux que le semeur d'yeux devait venir !
Vélimir Khlebnikov
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Qu'est-ce qu'une île ? Quelles sont ses frontières ? Comment s'inscrivent-elles dans l'espace et dans le temps ? Nulle île n'est une île est une méditation historique sur l'insularité à partir de quatre regards croisés sur la littérature anglaise. Qu'il s'agisse de s'interroger sur l'invention de l'île d'Utopie par Thomas More, sur la Défense de la rime de Sir Philip Sidney, sur Tristram Shandy ou sur la figure de Tusitala - le pseudonyme que se choisit Stevenson, et qui signifie conteur en samoa -, l'île est prise comme un paradigme pour penser, dans l'histoire, les relations du même et de l'autre. Si les îles existaient vraiment, si leurs bords circonscrivaient un espace clos, alors l'insulaire serait condamné à l'identité, au cercle de l'identique. Certains peuples ont rêvé ce destin. Rêve circonscrit. Rêve sans marge ni rive. L'historien démonte cette croyance rassurante. Les bords des îles sont poreux et leurs membranes comme ouvertes à l'échange. La dialectique de l'appel et de la réponse rend impossible le rêve des rivages nus, de l'origine intacte, des débuts sans histoire. Dans ce livre singulier, tout entier concentré sur des textes et des problèmes littéraires, attaché à sonder l'imaginaire avec les outils de l'érudition, Carlo Ginzburg poursuit son archéologie de l'altérité. Chacun des chapitres qui composent l'enquête est un exemple de sa méthode et un argument de sa thèse.
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Etre juif : s'en tenir, coûte que coûte, au pur fait d'être juif.
S'arrêter à cette facticité, immédiatement révélante. " Etre juif ", ce fut le titre d'un article décisif d'Emmanuel Lévinas en 1947 ; le programme d'une nouvelle pensée après Rosenzweig - pensée du Retour - y était esquissé. Dans cette trace, ce livre dialogue passionnément avec Lévinas. Il prend le parti de refuser toute conversion philosophique.
De la facticité seule s'explicite la pensée du Retour.
Etre juif : ne pas pouvoir fuir sa condition. Toute l'histoire juive, irrémissiblement rivée à son début. Le Juif comme " vie éternelle ", selon le mot de Franz Rosenzweig. Le Juif comme nécessité d'existence dans l'absolu. Le Juif moderne a vécu cet être comme malédiction. La pensée du Retour requiert une critique radicale de la théologie - l'a-théologie - du juif moderne. Théologie de la " mort de Dieu ", du silence de Dieu à Auschwitz, souffrance inutile - tous ces thèmes font l'objet de la critique.
S'approcher de ce qui brûle le juif moderne, sans athéisme. Et comme le coeur de l'a-théologie du juif moderne est constitué par la doctrine du Mal absolu, il faut, contre cette doctrine, revenir à la Tora d'Adam. Il n'y a pas de nécessité du mal. Rejeter la théodicée de Leibniz et de Hegel n'est pas adopter la doctrine dualiste du Mal absolu. Etre juif, ou l'innocence d'Adam. Autrement dit, voilà la figure d'une universalité inouïe.
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" le concept n'est autre que le résidu d'une métaphore.
" ces quelques mots de nietzsche, cités par roland barthes dans l'un de ses cours au collège de france, pourquoi ne pas les appliquer à ce dernier travail lui-même ? lire ces pages, ce serait alors tenter d'y retrouver un mémento d'images, une logique personnelle de la rêverie : l'élaboration, en somme, d'un vrai paysage passionnel. on y déplierait, à partir de quelques exemples favoris, et en deçà des trouvailles d'idées ou de langage, la dimension, plus sauvage sans doute, de ce que maurice merleau-ponty nommait, belle métaphore s'il en est, " cette touffe vivante de la perception ".
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destiné, comme on dit d'une musique, à accompagner la course de taureaux - film à caractère documentaire de pierre braunberger -, le commentaire de michel leiris date de 1951.
ce film est, pour les amateurs des premiers cercles, les aficionados, un film de référence : non seulement parce qu'il donne à voir les toreros et les épisodes les plus célèbres du siècle, mais parce qu'il les donne à voir avec une intelligence (ce qui ne saurait suffire, on le sait, en matière de tauromachie), avec une sensibilité (ce qui pourrait être désastreux) et une justesse de ton - historique, esthétique - sans précédent et sans suite.
dans un bel effort de rigueur et d'intransigeance, dans un mouvement d'humilité lavé de tout lyrisme, de tout effet poétique, le sens même et la portée de la tauromachie sont ici clairement rendus. f. m.
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" de regarder la télévision, on ne fait pas profession sans se salir les yeux, et pis encore.
J'avais pourtant résolument décidé de regarder cette télé-là : la télé grand public, celle qui commence quand s'égoutte la vaisselle du dîner, dont les enjeux font un événement, et les programmes l'ordinaire des conversations salariées à l'heure de l'embauche. on sait bien qu'il se trouve sur certains canaux des trésors ; on sait mieux encore, et d'expérience, que ces miracles se diffusent plus souvent à des horaires dissuasifs, dans un hors-temps de la télé que nul annonceur ne trouble, nul impératif d'audience ne contraint.
Dans ces moments où le médium a un sens, il n'a pas de téléspectateurs. ou, pour mieux dire, il n'a pas de troupeau à mener ; à peine des individus épars, rares et curieux zombies, inclassables marginaux ou franchement chômeurs mais qui, dans tous les cas, ne justifient pas un écran publicitaire. ce repos qu'alors il s'octroie et nous octroie, on peut considérer que c'est un accident - que ça ne compte pas.
" pierre marcelle a tenu pendant deux ans la chronique " après coup " de libération. il raconte.
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Existe-t-il une vie intellectuelle en France ?
Jean-Claude Milner
- Verdier
- 2 Octobre 2002
- 9782864323679
à la question : existe-t-il une vie intellectuelle en france ? l'auteur répond résolument : non.
La vie intellectuelle n'est pas une donnée naturelle à la france, comme chacun semble le croire. bien au contraire, la société française lui est hostile, toute à ses rêves de clocher. quand d'aventure, une vie intellectuelle y trouve accueil, c'est par exception et à la suite de décisions guidées le plus souvent par un simple calcul d'intérêt. un épisode historique autorise une vérification quasi expérimentale : la troisième république.
Ce fut un des rares moments où la vie intellectuelle fut reconnue pour une chose d'importance. cela suivait d'une nécessité politique ; il fallait établir un régime républicain dans un pays qui n'en voulait pas. face à une société réticente, la machinerie politique jugea opportun de rechercher un appui auprès des gens d'étude - savants, artistes, écrivains. en échange, elle leur proposa quelques libertés et même quelques refuges ; sa provisoire bienveillance alla jusqu'à ne pas leur demander s'ils étaient ou non des français de souche.
De cela, à ce jour, il ne reste rien. tout simplement parce que la société s'est habituée à la forme républicaine et en a fait un clocher de plus. du coup, la vie intellectuelle ne sert plus à rien. jean-claude milner analyse les trois scansions qui ont jeté bas les dispositifs par quoi l'intellectuel pouvait se croire chez lui en france : la catastrophe de vichy, la rupture de la guerre d'algérie et le triomphe de la conception faible de la démocratie comme reflet inerte de la société.
" là où la société règne, toute pensée s'éteint. ".
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Qu'en est-il de ces formes - lignes, couleurs, volumes - qui soudain nous parlent une langue qui devient la nôtre, nous communiquent une force dont nous nous sentions dépourvus ? Je ne fais guère crédit au hasard, même s'il me faut admettre que la conjonction brusque des circonstances, l'espace et le temps conjugués en un lieu et une minute, peuvent décider parfois d'un destin.
Il en va des images comme des êtres de chair et de sang, hier encore ignorés de nous et que nous reconnaissons tout à coup, comme si depuis toujours une sorte d'attraction sidérale nous orientait infailliblement vers eux. Il ne nous appartient pas davantage d'en précipiter le cours, car l'instant qui en décide n'est pas inscrit au cadran de nos horloges, mais dans la lente maturation de nos existences, dans leurs énigmes aussi, leurs échecs.
Et peut-être que La Vocation de saint Matthieu, une toile peinte voilà quatre siècles par l'immense artiste que fut Caravage, m'attendait en effet, sans que je le sache, à ce moment de ma vie.
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Nous vivons parfois cette expérience impossible : l'effondrement du monde, l'ouverture de l'abîme.
Faisant l'épreuve de cette dépossession, nous sommes soumis à l'extrême souffrance où tout sens semble irrémédiablement suspendu.
C'est cela que blanchot circonscrit sous le nom de, " nuit " et qu'il s'efforce de prolonger dans une pensée du neutre. prendre au sérieux cette pensée, lui demander ses raisons, tel est le dessein de ce livre. il engage indissolublement un autre enjeu : affronter l'épreuve elle-même, dont le mot de " nuit " est le signe, la transformer en question.
Peut alors commencer un travail sur une certaine époque de la pensée : ouverte par son attention à l'irréductibilité de la " nuit ", elle s'était très largement reconnue en blanchot.
Trois cercles concentriques donc, disposés autour d'une unique interrogation : la pensée peut-elle accueillir l'abîme qu'elle ne le puisse pas, peut-être faut-il le conclure, mais cette impossibilité réclame d'être établie, et non simplement présupposée.
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« Alors on va me dire : mais au fond, c'est qui, c'est quoi, ce MAT ? Il est protéiforme, il change sans cesse d'aspect, de figure, il a des fonctions diverses. Mais oui.
Si les choses étaient simples, cela se saurait. Si la terreur, l'amour, l'amitié, la mort, la folie désignaient à chaque fois une seule figure, cela se saurait aussi et l'on n'en serait pas aussi encombré. Ce qui est merveilleux, c'est d'approcher ce corps protéiforme et inquiétant, ce changement à vue de visage, d'usage, sans jamais s'y brûler au point d'y perdre son latin (la plus grande perte). Tant que l'on peut rester vivant et possédant son latin à considérer LE-MAT face à face, c'est que l'on est écrivain, suspendu, protégé.
Être plus fort que lui, c'est la seule manière de survivre. »
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" jamais un philosophe ne fut mon guide.
" roland barthes résumait ainsi l'une des caractéristiques majeures de sa propre vie. il faut conclure : la pensée de barthes ne fut pas philosophique. pourtant, il n'avait jamais cessé de se tourner vers la philosophie, lui empruntant quelques formes de langue un certain usage de l'article défini, une transposition des adjectifs en substantifs, le recours aux majuscules. or la langue engage tout chez barthes.
En autorisant la philosophie à marquer la langue de son sceau, il faisait un pas vers la philosophie. ou plutôt dans la philosophie. ce pas philosophique le mena de sartre à platon, sans autre guide que lui-même. dans la caverne, pour en sortir sans rien perdre des qualités sensibles. puis pour n'en pas sortir, ayant cru découvrir qu'on pouvait y demeurer, dans quelque lumière à la fois éblouissante et intégralement endogène ; il se réclama du signe, en hommage à saussure, qui fut pour lui porteur d'une révélation.
Hors de la caverne, enfin, dans la lumière immobile du chagrin, sous le regard de la mère disparue, mais pour redescendre aussitôt, selon la loi, librement consentie, de la pitié. jouant des mille éclats d'un cristal de pensée, roland barthes écrivit à la fois un roman d'éducation et une phénoménologie de son propre esprit. page à page, texte par texte. j'ai souhaité en restituer la trame et le parcours.
J. -c. m.