"Ainsi donc ses mains élégantes, ses mains sans histoire, délicates et fidèles, qu'elle avait si souvent gantées, pommadées, vernies au bout, avec des ongles qui faisaient sa fierté; ses mains d'espièglerie et de caresse, mains-farfadets, agiles, mobiles... ses mains-marionnettes... papillonnantes et rieuses, fuselées, aériennes... n'étaient plus que ces palettes pataudes?".
Et voilà comme des riens du quotidien nous déstabilisent, au gré d'une plume légère, pleine de fantaisie et d'empathie.
L'étrangeté, le voyage, des rencontres curieuses... On se promène dans les décors et les âges: un bord de mer, un chalet dans la neige, Vérone, Palerme ou Séville, la lune dans tous ses états qui rôde ou s'esquive. On côtoie une famille turbulente, un doux rêveur qui se fait assassin, un petit chien qui devient un héros, Belle traversant les siècles. Les personnages, parfois, d'un texte à l'autre se répondent. D. Giroud leur donne vie, explorant des situations, l'incertitude des sentiments, le poids de la laideur, la guerre; çà et là, la genèse de l'écriture, en flirtant avec le fantasque, l'étonnant et même le fantastique.
Et le lecteur de se laisser porter et emporter par des histoires où le réalisme se fait tangent, où l'onirisme partout affleure, où les mots ensorcellent.
"La période d'écriture de ces nouvelles s'étale sur une quinzaine d'années. Elles forment un ensemble cohérent, même si chacune d'elle est une histoire différente et complète. Le fil conducteur qui relie ces histoires est la mort du fils de la protagoniste.
Si le point de départ est bien réel - la mort dans la première nouvelle -, les autres récits sont presque entièrement fictionnels du point de vue factuel. Cependant, le temps réel écoulé entre la première et la dernière nouvelle fait partie de la narration dont le thème est, plus que la mort et l'absence, le silence, comme un écho assourdissant de la douleur qui isole la narratrice mais qu'elle va intégrer peu à peu, jusqu'à être capable d'un retour vers les autres. Ces nouvelles sont la laisse de mer de la douleur." À partir d'un thème - la disparition du fils -, C. Pic-Gillard tisse un recueil proche des variations, au sens le plus musical du terme. Autour de ce sujet principal gravitent, apparaissent et disparaissent même, d'un récit à l'autre, un certain nombre de motifs... parmi eux: le corps de l'enfant, la solitude, le meuble, mais encore une certaine fétichisation et la mer, déjà présente dans le précédent opus de C. Pic-Gillard. Et le lecteur de retrouver l'écriture troublante - parfois vénéneuse - et à fleur d'âme d'une auteure qui confirme son talent dans les formes littéraires brèves et intenses.
« D'un coup, la porte claque. «C'est mon époux, me dit madame Hortense, je vais vous le présenter.» Monsieur Henri entre dans la pièce : un magnifique loup gris à la fourrure dense et au torse argenté. Ses yeux jaune orangé tirant sur l'ambre me fixent, un moment surpris de notre présence. » Prendre le goûter au sein d'une famille de loups, c'est, en soi, un événement pour le moins extraordinaire. Mais quand cette après-midi particulière devient l'occasion de percer le secret qui entoure ce couple et ses petits, et, peut-être, de lever la malédiction qui les frappe, les choses prennent une tournure fantastique pour la jeune Rose qui assiste à l'inconcevable. Conte illustré où il est autant question de don de soi que de protection de la nature, d'abnégation que d'amour de la vie sauvage, Le Manoir des désespoirs du peintre creuse un peu plus le sillon fantastique de l'imaginaire de son auteure, Anne Raynaud.
« Il sentait que c'était vraiment la fin. Tous ses amis, ses relations de la ville, tous les êtres humains étaient sûrement décédés à cette heure. Lui survivait encore pour quelques instants. Quel avenir pour cette planète en cours de destruction ? Allait-elle subsister telle une étoile morte, dérivant dans l'espace, ne conservant aucune trace de la vie qui durant des millénaires l'avait différenciée des autres astres ?... Bruno s'allongea sur sa couche, se recouvrant de toutes les couvertures qu'il put trouver, et sereinement, il attendit la mort. » De la Saint-Barthélemy à une apocalypse climatique, d'une malédiction indienne à la dernière mission d'un agent des services secrets, Serge Albagnac poursuit son kaléidoscope de genres et d'influences. Les nouvelles se suivent et ne se ressemblent pas, offrant au lecteur une oeuvre plurielle, tout en rupture de ton, qui saura captiver un large public.
« Je n'appartenais pas à l'élite et mes initiatives devaient se limiter à celles que pouvait prendre un Allemand ordinaire. Je ne pouvais pas m'identifier au héros de votre romancier Vercors et demander à mon colonel de partir sur le front de l'Est. Il aurait ricané et m'aurait dit de veiller à ce que nos véhicules démarrent quand les Américains nous tomberaient dessus. Ce que je fis. Je n'ai été qu'un rouage de cette grande machine, infernale, je vous le concède... Mais, pour changer de sujet, juste un tout petit peu, que pensez-vous de ce portrait ? Il aurait été difficile d'ignorer, en entrant dans le salon, le portrait, imposant par sa taille et son cadre, d'une grosse bourgeoise, allemande j'imagine. Portrait de facture classique si l'on était généreux, plutôt raté, si l'on considérait la crudité des couleurs, l'absence de nuances entre le rendu des chairs, abondantes, et des tissus qui servaient d'arrière-plan. - Vous aimez ? - Très sincèrement, non. » Si le lecteur retrouvera dans ce recueil La Croix-sur-Gartempe, le petit village de Haute-Vienne au centre de « Marceline et les autres », il voyagera également, dans le temps comme dans l'espace. Du XIVe siècle aux souvenirs de la Seconde Guerre mondiale, en passant par la nouvelle policière ou la fantaisiste « Femme sans tête », Jean-Claude Vignaud, en bon conteur, nous emmène là où il veut avec une aisance déconcertante.
« Bienvenue dans l'autre monde. Après avoir reçu le liquide incolore qui coulera dans leurs veines, ils découvriront la terrasse magique qui les mènera vers la guérison ou vers la «folie». Fifi a largement assez de fil de soie pour tisser encore et encore dans le cerveau de chacun des toiles d'araignées au plafond. Méfiez-vous d'elle, elle surgit lorsqu'on ne s'y attend pas et elle sait masquer les symptômes de ses attaques. Elle avance en douceur, c'est souvent imperceptible. Lorsque l'on s'en aperçoit, il est déjà trop tard. » À travers les histoires d'une mémé filoute que ses petits-enfants préfèrent à la télé, le quotidien absurde d'une maison de retraite, un papi flingueur que son fils veut évincer de l'entreprise familiale, le road-trip de trois octogénaires, la malice des soeurs Forrel, une fratrie de noms fleuris, les déboires d'un ex-médecin alcoolique et une dernière nouvelle bâtie avec des titres de films de l'époque, Annie Besse Demas nous emmène, au fil de dialogues dynamiques et de petits récits pétillants, à la découverte des affres de l'âge.
« Trois coups résonnèrent à l'horloge. Puis le balancier s'arrêta subitement d'aller et venir de gauche à droite. Le vent avait cessé de souffler sur le massif du Broussans depuis plus d'une heure. De gros nuages noirs montaient de l'horizon, et la lune fut enveloppée de brumes nocturnes. Un silence imprégné de mort régnait sur la villa de Jean et de son épouse absente. Soudain Satan se dressa sur ses quatre pattes. Son poil avait changé de couleur. Il était devenu noir. Ses yeux s'illuminèrent de veines rouges. Il grognait les crocs grands ouverts et une bave écumante s'échappait de sa gueule béante... » Difficile de faire preuve de discernement lorsque l'on est confronté à la vile virtuosité du Mal. Dans un élan d'altruisme, Jean pensait avoir recueilli un chien. Un berger allemand nommé Satan. Comme bien d'autres, il aurait dû se montrer plus méfiant. Son erreur sera lourde de conséquences. Patrick Roussillon laisse planer une ambiance lugubre et un sentiment de malaise dans une série de nouvelles aussi pesantes qu'accrocheuses.
« Imperturbable et patiente, la mort est à la fois inéluctable, parfaitement naturelle et absolument indispensable : elle n'épargne personne. Elle accompagne les humains durant toute leur existence, qu'elle soit brève ou longue, attendant le moment propice pour donner l'estocade, tel un matador. Elle retrouvera toujours ceux qui se permettent de jouer à cache-cache avec elle et elle les frappera le moment venu, là où elle voudra. Elle abattra sans égard toute personne de sa poigne lourde, colossale et invisible au moment où celle-ci s'y attendra le moins. Elle désarçonne, bouleverse, en tout cas, elle anéantit complètement la personne qu'elle étreint. Elle laisse les proches dans un grand désarroi, quelquefois insurmontable. » Il est écrit dans la Genèse « tu es poussière, et tu retourneras à la poussière ». Sur Terre, nous ne sommes que de passage. Considérée comme l'étape ultime de la vie, tant qu'il y aura des Hommes, la mort n'aura de cesse de faire partie de notre quotidien. À travers plusieurs histoires, Alain Mafoua-Badinga illustre les pertes auxquelles les êtres peuvent être confrontés et nous fait part de ses pensées et réflexions à ce sujet. Des propos empreints de spiritualité et de sagesse pour nous aider à mieux appréhender l'inéluctable.
« Des questions existentielles laissées en suspens depuis l'adolescence resurgissent chez Antoine : Qui est-il ? D'où vient-il ? Où va-t-il ? La lettre du notaire le renvoie à toutes ces interrogations. Reçue dix ans plus tôt, la lettre n'aurait eu aucun retentissement en lui, il aurait refusé l'héritage sans même un déplacement, il avait mis une croix sur son passé ! Aujourd'hui, il doute, cinquante ans, l'âge du retour sur soi... » Marie-Catherine Poli présente dans ce recueil de nouvelles un voyage introspectif souvent imprévu mais nécessaire laissant entrevoir l'importance de la quête de soi. Ces parcours intimes nous dévoilent, grâce à des personnages divers, le cheminement de pensées d'âmes égarées cherchant la voie qui leur est propre. L'auteure nous entraîne de façon subtile dans des histoires aussi riches que différentes et parvient à délivrer un message fort tout en présentant des dénouements inattendus. Confrontation entre présent, futur et passé, cet ouvrage ne laisse pas indifférent par les questions qu'il pose.
« Même si au bal des casquettes les bourreaux sont polis et se partagent le monde en grosses tranches d'affamés, il renaît du fond des âges une douce folie, un ouragan d'espoir, la force immense d'aimer. Inconnus ou déjà nés, les enfants de demain redessinent déjà nos luttes, nos forces, nos tendresses et des mosaïques de nos enfances surgissent sans cesse l'image du bonheur, l'envie de se donner la main. » Tranches de vie, réflexions sur notre humanité, nouvelles ou jeux de langage... H. Mosquit s'accorde la liberté la plus totale dans la composition de son ouvrage. Une liberté formelle, comme pour mieux soutenir cette liberté et ce besoin de paix qu'ont les êtres et que ne cesse défendre l'auteur. Tour à tour léger et inquiet, grave et optimiste, à l'écoute du fracas du monde et plus introspectif, ce patchwork littéraire témoigne encore de cette force particulière qu'a l'écriture d'ouvrir, pour l'auteur et le lecteur, de nouveaux horizons.
« Aucun d'entre nous ne bougea, le féticheur debout dans la pirogue versa une poudre blanche à l'eau, légère, qui disparut sous l'eau car elle semblait être sans coloration. J'appris bien plus tard que c'était l'endroit où Ndi s'était noyé. Les féticheurs revinrent rapidement, comme si quelque chose de monstrueux les poursuivait. Quelques secondes plus tard, après leur départ de l'endroit où fut jetée la poudre, on entendit une forte explosion. L'eau monta très haut dans le ciel, ce qui ne manqua pas de nous faire sursauter, sans qu'aucun d'entre nous ne fasse naître le moindre cri. L'eau ne tarda pas à s'apaiser. Nous vîmes alors quelque chose, ou plutôt une personne flotter sur le ventre au-dessus du fleuve. » Très souvent situés à la frontière du conte, les brefs récits que réunit ici F. Mvondo Akono veulent à chaque fois nous délivrer une leçon de vie, nous transmettre un peu de sagesse et de bon sens. Et cela sur une multitude de tons, dans des ambiances toujours renouvelées, parcourant ainsi le spectre qui va du drame à l'humour. Tendres, grinçants, émouvants ou même effrayants, ces textes nous édifient au travers de situations et de figures dépeintes avec empathie et humanité par l'auteur.
« Cette fois, la police a sorti le grand jeu. Toute la zone antiquaire est fermée. Les journalistes sont déjà là. Chaque antiquaire déjà arrivé lors de la sinistre découverte est consigné dans son magasin. Les autres, plus tardifs, doivent attendre à la brasserie du coin. Les consignes sont passées pour que Léon arrive sans encombre. Axelle est déjà sur les lieux en compagnie du commissaire Beaulieu. La nouvelle victime est une femme : Monique de Chambron, la cinquantaine, installée depuis seulement deux ans dans le jardin. Axelle ne la connaissait pas personnellement. C'était une antiquaire discrète, pas très sociable, n'ayant pas d'intimes. Comme précédemment, c'est monsieur Victor qui a fait la macabre découverte : rideau de fer baissé, non fermé à clé. Le magasin sens dessus dessous. La victime a été poignardée en plein coeur et sa main droite a été aussi coupée. » Des antiquaires assassinés et retrouvés amputés d'une main ; une chasse à l'oeuvre d'art sur fond d'histoire ; des gondoliers qui subissent la colère d'un mystérieux serial killer... Autant d'énigmes et de défis à résoudre pour Léon et son associée Axelle au fil de ces trois nouvelles policières conduites avec élégance par Nigel van Nooren qui, de Bruxelles à la Sérénissime, promène son duo de détectives dans les dédales de l'histoire, des villes et des monuments. Grattant le vernis que s'imposent certains milieux, certains décorums et même certaines personnes, tous deux démêlent avec patience les ressorts d'affaires aux ambiances pittoresques.
« C'est ainsi que, subitement, ayant constaté qu'il était animé d'une intelligence supérieure, vint la confrontation avec ses contemporains qui étaient plus légers que lui. Alors, notre bon président décida une chose complètement folle : s'isoler du monde une année durant. Il élut pour lieu une île au milieu de l'océan Pacifique pas si loin des forces basées à Hawaï. Il s'était bien résolu à passer son centième de siècle à des lectures, des rêveries, des expériences faites sur le tas et, surtout, ne compter que sur soi. » Un arbitre plus que partial, un leader qui s'éloigne du monde, un dévorateur de livres, un publicitaire fascinant ses disciples... Autour de ces « sujets », E. Gourion bâtit des études de caractères en conditions extrêmes, voire surréalistes, aboutissant à des leçons de vie souvent pertinentes. Manier la fantaisie et l'absurde pour mieux cerner les travers de nos âmes et de nos sociétés, là réside tout l'art d'un auteur à la voix unique.
Des demandeurs d'emploi attendent devant une agence pour l'emploi. Un atelier de redynamisation est prévu : il s'agit pour un des responsables d'organiser une croisière sous les tropiques. Ce sera l'occasion pour les participants de se révéler aux autres et de continuer à vivre.
« L'odeur du tabac gris remplaçait peu à peu celle de la soupe et la fumée pâlissait déjà les couleurs de la cuisine. Alors qu'un quelconque visiteur aurait pu voir ici le tableau paisible d'une soirée en famille, il se serait sans doute demandé pourquoi, tout à coup, Fernand se mettait à serrer convulsivement ses mains, puis à les frotter vigoureusement l'une contre l'autre, à cligner frénétiquement des yeux et à arborer des expressions de visage terribles. Ce visiteur se serait à coup sûr inquiété de cette crise qui, loin de faiblir, durait et même s'amplifiait... Pourtant, Andrée, habituée à ces scènes, l'aurait rassuré. Ce n'était rien ; une idée devait contrarier son mari. » De la fin du XIXe à nos jours, de l'enfance à l'âge mûr, Jean-Philippe Decroux sonde l'âme humaine et dépeint avec humanité des existences fragiles qui viennent prouver, besoin s'il en est, que le doute et l'erreur n'épargnent personne, que la quête de soi n'en finit jamais. Entre espoirs, rêves déçus et petites lâchetés, ces chroniques rurales normandes traversent le temps et offrent une galerie de portraits saisissants de justesse, reflets de diverses époques et pourtant intemporels.
« Durant son séjour au village, Kouloumbou, déjà avisé du traitement infligé à sa mère par les familles dominantes de Kingoma, résolut de tirer au clair cette histoire qui n'avait que trop duré et qui n'honorait pas la lignée. Un jour, très tard dans la nuit, il prit son courage et se décida à parler ouvertement avec celle-ci de ce sujet tabou et ainsi connaître ce secret si longtemps gardé que sa mère n'avait jamais voulu révéler par peur de représailles de la part des antagonistes qui se faisaient passer pour ses vrais parents. Il réveilla sa mère cette nuit-là et l'apostropha en ces termes : - Maman, n'as-tu rien à me dire ? N'est-il pas temps de mettre les choses au clair ? Ne me cache plus rien, je sais tout, nous devons en parler. » Malédiction, vengeance et quête des origines dans un Congo qui accède à son indépendance. Autour de ces thèmes, André Loutonadio construit un roman qui ne cache pas sa filiation avec le conte, et compose ainsi un récit teinté de fantastique, qui défend, par-delà son sujet, les idées d'unité, de fraternité, de paix.
« Elle veut être seule pour souffrir, mais elle est effrayée par ce qui l'attend. Les autres mères du camp l'ont prévenue, sans adoucir leurs propos, au contraire... Pour faire preuve d'héroïsme, de courage, sans doute, comme on raconte une bataille gagnée. Elle attend Tania la vieille, celle qui assiste les femmes en couches, celle qui soigne et sait prononcer les paroles apaisantes. Kambi jette un coup d'oeil par la fenêtre entrouverte. Elle regarde les cyprès onduler doucement, elle entend des rires, des chants, des claquements de mains, des enfants qui se pour-suivent, des discussions. Comme elle les envie ! Qu'ils sont heureux, ceux-là, qui ne souffrent pas, insouciants, gais, bavards. Elle transpire. Ses longs cheveux noirs sont collés à ses tempes. Elle finit par hurler... » «La vie se termine en queue de poisson... Paradoxalement, pour moi, la vie grouille dans les cimetières. Je le ressens ainsi. Tous ces gens qui se pensaient si nécessaires, si importants, ont disparu. C'est la règle, personne n'y peut rien ! Tout passe : nos bonheurs, nos chagrins... tant mieux ! Certaines tombes m'ont intriguée : peu d'informations, vieillottes, originales, chargées ou sobres... J'ai tenté d'inventer quelques vies de leurs «habitant(e)s». » En guise d'hommage, l'auteur s'empare de l'inconnu pour réinventer des vies, nous offrant par là même une belle galerie de portraits qui, aussi fictifs soient-ils, frappent par leur justesse.
« Un peu poète à ses moments perdus, il aimait jouer avec les mots, ou plutôt se faire encercler par eux en une ronde romantique, musicale et joyeuse. Il se souvint aussi d'avoir enterré au pied de l'arbre, en cachette sans le dire à Adeline, mais en espérant qu'elle la trouve, une boîte en plastique rouge comme sang contenant une jolie bague d'un prix abordable admirée à la devanture d'un bijoutier, et payée avec son argent de poche. Pourquoi ne la lui avait-il pas donnée de la main à la main ? Que craignait-il ? Peur de s'engager si vite ? Même si ce n'était alors qu'une réticence imperceptible ? À côté de la bague, il avait déposé un caillou en forme de coeur qu'il avait récolté sur la plage. Sans se soucier de l'étrange symbole qui pouvait résulter de cette proximité. Coeur de pierre. Le sien ? » Avec ce nouveau recueil de nouvelles, Madeleine Dehais poursuit ses chroniques faites d'innocence et d'amertume. Des tranches de vie faites de petits riens qui en disent pourtant beaucoup : c'est une balade touchante au coeur de l'âme de chacun, à l'aube ou au crépuscule de sa vie, lorsque tout reste à faire, à regretter ou à recommencer.
" Je t'attends pour ne pas m'attendre ou m'éteindre. La lumière que tu m'avais donnée s'est estompée quelque peu au creux de mon coeur, tout doucement sans faire de bruit mais ardemment. Ton aura a tout effacé sur son passage dans l'allégresse de ma jeunesse, de notre jeunesse éblouissante." Juliette attend dans un café l'arrivée d'un ancien amour, Fabrice. Mais à la place c'est Julien qui se présente et annonce à la jeune femme que celui qu'elle espère ne viendra pas et ne souhaite plus la voir. Un mal pour un bien qui marque le début d'une belle histoire entre ces deux être singuliers. Le nouvel ouvrage de Frédérique Cantais est un savant mélange de nouvelles et de poèmes, dans lequel le style mélodieux de l'auteure nous emporte et nous fait vibrer. Entre amour, poésie, désespoir ou folie, L'Amour placebo aura le même effet bénéfique et positif sur ses lecteurs que le médicament du même nom.
« Ouvre les yeux ? Mais qu'ont-ils, mes yeux ? Je sens une de mes paupières trembloter, puis l'autre, et, dans ces petits éclairs, j'aperçois trois ou quatre paires d'yeux qui me fixent. Je referme les miens. Ils me font peur. Qui s'empare de ma main ? Qui m'appelle ? Mes parents ont disparu. J'entrevois des yeux énormes, tellement ils sont près de moi, comme si des gros poissons étaient collés contre un hublot. Qui me caresse la joue ? Qui m'embrasse ? Que me veulent-ils ? Mes yeux s'ouvrent tout doucement, au grand soulagement de cette petite troupe anxieuse. » Après « Mon amour, ma déchirure », Suzanne Hilaire s'est remise à écrire, non plus une histoire en continu, mais en piochant dans des faits qui ont laissé des traces dans sa vie. Chaque épisode se « suffit à lui-même », et son esprit cartésien de mathématicienne est pour une bonne part responsable de ce choix d'écriture. Rappelez-vous les livres pour enfants, contenant dix ou vingt contes, un pour chaque soir, que la maman lit à son enfant... Faites de même avec ce livre : savourez une histoire à la fois, imprégnez-vous de son humour, ou méditez sur sa tristesse. Un recueil doux-amer où l'amour, sa lumière ou son spectre viennent nous bercer avec mélancolie.
« Au début il n'y avait rien. Et de ce rien naquit quelque chose. Quelque chose créa autre chose. Puis cette autre chose apprit à vivre sans quelque chose. Alors quelque chose cessa d'exister pour autre chose. Autre chose vécut, puis mourut. Et à la fin, il n'y eut rien. » L'existence et la mort, la beauté dangereuse et puissante des éléments, moi et les autres, moi contre les autres... Ces thèmes, travaillés par l'écriture limpide - parfois même terriblement limpide -, d'Amaryllis Fanto donnent naissance à un recueil de textes bruts, balançant entre cruauté, résignation et désespoir. Une première oeuvre inclassable, à la lisière du conte, du poème et de la nouvelle, dont on sort ébranlé.
« À cause de cette satanée faïence, je perdis presque instantanément tous mes repères dans le couloir infernal. Les bras tendus comme le Christ sur sa croix, je dus prendre appui sur chacun des deux murs pour lutter contre cette inévitable sensation de roulis qui m'envahissait. J'avançai péniblement en faisant glisser mes mains sur les carreaux glacés. Un instant, j'eus le sentiment de basculer pour de bon, voire de partir pour un tonneau complet. Passager impuissant d'un avion en plein meeting de voltige. Ma tête tournait et mes quatre membres devenaient de plus en plus lourds, comme submergés par les accélérations d'une trajectoire impossible. Je voulais absolument m'extraire de ce conduit, atteindre les quelques marches en bois qui me ramèneraient inévitablement à la réalité. Je réussis, au terme d'un effort surhumain, et dans un temps impossible à estimer. » En cinq nouvelles, Stéphane Marquier propose autant de variations sur les thèmes du fantasme et de ces présences qui nous accompagnent, secrètement, pour toute une vie ou seulement quelques instants. Des récits oniriques où le réel et le quotidien se lézardent étrangement, où des basculements proches du fantastique créent, autour des voix narratives, des atmosphères fascinantes.
Garder le chat... et autres nouvelles est une réécriture enrichie du recueil publié en 2004 et épuisé aujourd'hui. De Judith, mère d'un bébé étrange, à Sarah, qui a perdu le sien, en passant par Antoinette, vieille paysanne beaujolaise à l'espoir usé, ou par Marceline, poussée par une haine meurtrière, Isabelle, Léna, Béatrice, Suzy, Laura et Cécile, les autres héroïnes de ces nouvelles nous emportent dans les méandres de leurs vies tourmentées... avec ou sans chat ! Des destins différents mais des émotions fortes et des sentiments dans lesquels chaque lecteur peut se reconnaître.
« Depuis un mois, Pierre avait rempli des pages et des pages sur son journal. Il avait retourné la ?scène de la voiture? dans tous les sens. Il avait sondé la mémoire d'Hanna pour obtenir le moindre indice, pour pouvoir interpréter chaque symbole. Mais il n'avait rien trouvé de concluant, rien qui ne puisse délivrer sa mémoire prisonnière de l'oubli... De plus, elle ne supportait plus ses questions à propos de cette scène, de ce cauchemar. Alors, il arrêterait de la harceler... Elle se fatiguait aussi à raconter leur histoire, elle souffrait de devoir lui montrer les gestes tendres qu'il avait pour elle avant l'accident, les mots doux qu'il avait l'habitude de lui souffler à l'oreille : ?Nanouch, tu es ma vie !? ou ?le plus beau rôle de toute ma carrière, je l'aurai joué auprès de toi? ou encore ?Après Tristan et Iseult, Roméo et Juliette, voici Pierrot et Hanna?, tous ces mots que Pierre avait oubliés ».
Un accident de voiture... et les ténèbres de l'amnésie se sont refermées sur Pierre, le conduisant auprès d'une femme qu'il ne connaît pas, dans un quotidien qu'il ne maîtrise plus, à la recherche de lui-même et d'un passé toujours plus inaccessible. À partir de ce matériau, L. Karsenti construit une nouvelle faite de sables mouvants, de fragments et d'éclats, qui nous propulse dans un univers où les limites entre l'étrange et le familier se brouillent, et qui interroge les non-dits d'un couple qui ne cesse de se craqueler.